

Tirailleurs sénégalais, administration publique, polygamie, immigration, entrepreneuriat, opportunisme et mamaya: dans son roman Alias Maurice ou la méchante machine administrative de l’Etat, l’écrivain décrit les réalités contemporaines de son pays. A l’Harmattan Guinée, Diaty Condé est parmi les écrivains guinéens les plus promoteurs. Auteur de deux ouvrages dont le dernier édité en début d’année 2017, il peint à travers ses personnages les réalités sociologues de la Guinée.
Maurice Magnoumako est un personnage du roman proche de l’origine de l’auteur. Tous les deux sont originaires de la préfecture de Kouroussa au cœur du Manding en Haute Guinée. Maurice, ancien combattant de l’armée coloniale française rentre au pays après une longue guerre qu’il a menée en Indochine. Mais, Magnoumako ne rentre pas avec les mains vides. Il s’installe dans un quartier de Conakry avec une femme indochinoise qu’il a connue pendant la guerre. Malgré ses maigres moyens qu’il tire globalement de sa pension trimestrielle, l’ancien combattant s’engage à mettre son épouse (blanche) dans des meilleures conditions.
Infidélité et petites combines dans l’administration
Marie, l’Indochinoise que Magnoumako a ramenée au pays parvient parfaitement à s’intégrer dans la société, à Sangoyah, un quartier de la banlieue de Conakry. Elle devient de plus en plus connue dans la capitale. C’est dans ce processus d’intégration qu’elle arrive à obtenir un job comme secrétaire particulière du gouverneur de Conakry. De son côté, ne parvenant à joindre les deux bouts par sa pension trimestrielle, son compagnon, Maurice Magnoumako intègre la garde républicaine du gouvernorat. Mais, à cause de sa liaison amoureuse avec le gouverneur, Marie bénéficie de promotions. Au fur et à mesure elle devient incontournable à la Mairie, elle arrive à avoir moins de temps pour son époux. En se rendant compte de l’infidélité de sa femme, Magnoumako écrit une lettre de « mise en disponibilité » de sa compagne. Cette dernière, étant secrétaire, intercepte le courrier. Après des multiples couacs dans le but de récupérer sa femme, Maurice Magnoumako est licencié.
L’indochinoise bénéficie de tous les avantages et continue de sortir avec le gouverneur. A travers ce récit, l’auteur décrit une réalité contemporaine des préjugés sur les femmes intellectuelles. « J’ai maintenant compris pourquoi beaucoup de gens n’acceptent pas que leurs femmes deviennent fonctionnaires! Ils ont vraiment raison, le mari d’une fonctionnaire est un demi-célibataire, mais aussi, et surtout, un divorcé en puissance« , monologue Maurice.
Réussite des villageois grâce à l’agriculture et à l’élevage
Après son échec à Conakry, Maurice Magnoumako pense enfin à partir dans son village, à Fomy avant de se rétracter. Sa mère ayant eu de mauvaises nouvelles de son fils décide de venir à Conakry pour l’amener avec elle au village. Suite à des multiples galères incessantes durant la traversée rencontre enfin son fils Maurice qui était dans un état lamentable. Arrivé à Fomy, l’ancien combattant est surpris par des belles maisons construites par des villageois. Sa maman s’adresse à lui: » Mon enfant tout ce que fait l’homme béni, est toujours couronné de succès. (…) Tout homme peut être utile à ses parents et à son village, s’il le veut bien, quel que soit son lieu de résidence« .
Administration, marchés publics et contenu local
Au village de Fomy, polygame, Maurice engendre huit gosses et les scolarise. Ayant tiré une leçon de sa mésaventure dans l’administration, l’ancien tirailleur sénégalais dissuade ses enfants de travailler pour l’Etat et les encourage à entreprendre. Mais, après leur cycle, une grande partie de ses enfants bénéficient de promotion dans l’administration publique: ministre, procureur, officier militaire, … Tous sauf deux de ses huit enfants ont opté pour le secteur privé. Le quatrième enfant qui est devenu entrepreneur après ses brillantes études en architecture parvient difficilement à décrocher des marchés à cause de son inexpérience sur le terrain.
Dans le chapitre III et page 27, l’écrivain relate les difficultés actuels des diplômés à trouver de l’emploi car, dans chaque appel à candidature, les recruteurs réclament au moins 5 ans d’expérience. « Comment peuvent-ils devenir forgerons quand on interdit aux enfants de forgerons de rentrer dans la forge, parce qu’ils ne savent pas tenir le marteau« , dénonce le jeune entrepreneur.
La chance lui sourit quand les autorités décident d’offrir quelques marchés à partir de certains montants aux entreprises locales. Actuellement, la Guinée qui regorge des grandes richesses naturelles est confrontée régulièrement à des contestations des riverains de zones exploitées. Le roman explique que le contenu local peut-être un facteur de satisfaction des habitants des localités concernées. A partir de marchés qu’il a obtenus, le quatrième fils de Maurice construit une importante entreprise immobilière.
Le revers de la médaille, complot et prison
Au bout de cinq années couronnées de joie, la descente aux enfers commence pour les fils de Magnoumako qui occupent des hautes fonctions dans l’administration publique. Le ministre, le procureur, la sage-femme, l’officier militaire tombent tous en disgrâce. Sory Magnoumako, ministre de la qualité de la vie est démis de ses fonctions et emprisonné pour détournement et transfert illégal des fonds à l’étranger. Au décès de sa mère, même ses anciens collaborateurs lui tournent le dos. Aucun officiel ne daigne de se rendre à Fomy pour présenter les condoléances. L’écrivain fait ressortir l’ingratitude et l’opportunisme de certains cadres de l’administration qui s’adaptent facilement en fonction de l’arrivée d’un nouveau ministre. « C’est maintenant que je découvre le vrai visage des hommes caméléons qui n’ont ni dignité ni honneur« , disait-t-elle avant de succombé d’un coma après la condamnation de son fils. L’officier militaire est aussi destitué pour complot. Le procureur est démis de ses fonctions. Tous les fils Magnoumako sont destitués et certains emprisonnés. Le quatrième fils qui avait épousé l’entrepreneuriat prospère avec son entreprise immobilière. Une histoire qui donne raison au vieux Maurice Magnoumako qui conclut: « tout ça, c’est le fait de l’administration publique!« .
Difficile vie d’un fonctionnaire
Djibril, un des fils de Maurice Magnoumako, qui n’a pas tiré les leçons sur les sorts de ses frères, continue avec conviction de servir l’Etat en tant que Professeur des lettres modernes à l’Université Gamal Abdel Nasser. Malgré sa compétence dans l’enseignement, Djibril appelé Gabriel par ses intimes peine à joindre les deux bouts. Avec son salaire de 600 000 francs guinéens mensuel, il n’arrive pas à subvenir aux besoins de sa famille. En dépit d’innombrables conseils de sa femme d’entreprendre un travail générateur de revenu, il s’enferme dans l’administration publique. Pourtant, même sa femme, une simple vendeuse de condiments gagne plus que lui. « Je gagne chaque jour un bénéfice net variant entre 250 000 et 280 000 soit un bénéfice mensuel de 750 et 840 000, ce qui est de loin supérieur à ton salaire mensuel. Et cela avec toutes les libertés possibles; car je vais au marché à l’heure voulue, je retourne à la maison, quand je veux« , explique sa femme Doussou Magnoumako. Doussou lui rappelle le sort funeste de ses frères fonctionnaires. Malgré tout, Gabriel décide de servir l’Etat.
Descente aux enfers des immigrés africains en Europe
A travers une bourse d’étude Gabriel rejoint la France. Il connait un premier couac à l’aéroport Charles De Gaulle quand l’or qu’il a transporté est confisqué par la douane française. En France, il fait connaissance avec un de ses compatriotes, Balla Moussa qui avait bénéficié la même bourse neuf mois plus tôt mais qui refuse de retourner. Balla Moussa vit une vie extrêmement difficile. Il accumule les arriérés de frais de loyer. Gabriel ayant eu pitié de son compatriote décide de l’héberger, de le nourrir et de payer ses arriérés d’hôtel. Ayant une pénible charge de son ami Balla Moussa, Gabriel vit aussi des jours difficiles. Finalement il met son ami à la porte. Avant la fin de sa bourse d’étude, le professeur Magnoumako économise et parvint à acheter une voiture de marque Renault. Une fois à Conakry, avec des tracasseries de la machine douanière, Gabriel arrive difficilement avec des dettes colossales à faire sortir et entretenir sa voiture.
Mamaya, principal fléau social
A Conakry, Gabriel utilise sa bagnole pour transporter les jeunes filles lors des mariages, anniversaires et sorties exotiques. Au moment où il mène une vie décente avec ses copines, Doussou, sa femme se démène tant bien que mal pour nourrir ses enfants. Pendant que l’insouciant Gabriel enchaîne les conquêtes dans le quartier, sa compagne vend les condiments au marché de Matoto. Professeur Magnoumako est invité comme parrain partout où il y a des rencontres festives. Mais quand sa Renault tombe en panne, il devient de plus en plus romantique envers son épouse. Les filles du quartier qui le fréquentaient du jour et de nuit disparaissent tout un coup. C’est dans cette optique que sa charmante épouse le conseille de transformer sa bagnole en taxi.
L’entrepreneuriat toujours payant
La bagnole Renault est transformée en taxi. Gabriel transporte des passagers à Conakry et dans les préfectures environnantes. Avec la gestion rigoureuse de sa femme, la famille parvient à acheter un deuxième véhicule. Au fur des années, les recettes se multiplient. La famille Magnoumako crée une société de transport dont la gestion financière est rigoureusement dirigée par Doussou Magnoumako. La société grandit et la famille devient prospère. Le professeur annonce une démission surprise de l’université pour se consacrer à l’entreprise familiale.
Dépigmentation, fléau des jeunes femmes
Dans le quartier, vivaient deux jeunes filles très connues pour leur amitié. Nyassa de teint noir et Joséphine de teint clair sont des irréductibles amies. Les deux sont confidentes et se conseillent régulièrement. Joséphine de teint clair qui a un bon caractère se marie avant sa copine Nyassa. Cette dernière de teint noir conclut que sa copine s’est mariée à cause de la couleur blanche de sa peau. Nyassa décide malgré les dissuasions de sa copine de se dépigmenter. L’auteur relate un fait social que vit la société guinéenne. « Déshabillée, elle devenait rayée comme panthère âgée« , décrit l’écrivain pour dénoncer la dépigmentation.
Mariage et faillite de l’entreprise familiale
Nyassa, après s’être dépigmentée et déterminée vaille que vaille à se marier. C’est dans cette volonté, qu’elle trouve par la ruse d’un vieux albinos l’insouciant Gabriel Magnoumako. Ce dernier tombe amoureux d’elle. Mais Nyassa sans scrupule et sans pitié exige de son fiancé trois conditions dont le divorce avec sa première épouse et la construction d’une villa. Fou amoureux de Nyassa, Gabriel divorce avec Doussou et récupère la gestion financière de l’entreprise. Voulant satisfaire les besoins dépensiers et extravagants de sa fiancée, il finance à coup d’innombrables billets de banque son mariage. « L’homme ne connaît pas la femme qui lui est utile, mais plutôt celle qu’il aime« , écrit l’auteur. En état de famille, Nyassa exige de son mari d’accoucher aux Etats-Unis d’Amérique. Après avoir vidé les différents comptes de la société, l’entreprise Magnoumako tombe en faillite.
Renaissance de l’entreprise grâce à une bonne gestion d’Abdoulaye
Un diplomate américain qui a promis à Nyassa réalise sa promesse en envoyant son fils Abdoulaye aux Etats-Unis. Quelques années plus tard, Nyassa va se démener pour retrouver son fils à qui elle va annoncer la mort de son père. Dans ce chapitre, l’auteur relate la différence culturelle entre une africaine qui a passé son temps en Afrique et son fils qui a grandi au pays de l’Oncle Sam.
Après quelques années, Abdoulaye Magnoumako se rend compte que son père vit et décide de rentrer. Quand il va apprendre l’histoire funeste de la cause de la faillite de l’entreprise, Abdoulaye fait appel à la coépouse de sa mère pour gérer la société. Il met en place des dispositifs pour faire renaitre l’entreprise de ses cendres. Avec la gestion saine de Doussou, l’entreprise Magnoumako prend son envol. Au fur des années, l’entreprise s’implante dans les préfectures de l’intérieur du pays et des succursales dans la sous-région. Abdoulaye Magnoumako gagne de renommée. Quand il a été nommé ministre, contrairement à ses oncles et à la surprise général il désiste. Pour lui, le secteur privé révèle le plus important. Après la réussite de l’entreprise, son père conclut à la fin du roman: « en matière de gestion, on peut partir du néant au milliard et du milliard au néant. Une réussite forgée par l’expérience, l’expérience qui représente une richesse inépuisable et indestructible »
Alpha Oumar Diallo pour Aminata.com
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