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Guinée/Conakry : Des pistes de solutions pour en en finir avec le fléau des mariages précoces (contribution)

Le mariage des enfants est un défi majeur en Guinée. Ses conséquences sont considérables sur l’éducation, la santé, et le développement des enfants. Par conséquent, il est important de trouver des solutions à ce fléau.

  1. États des lieux en Guinée :

54% des personnes qui se marient en Guinée ont moins de 18 ans (MICS, 2016). L’un des facteurs qui expliquent le mariage d’enfants est le phénomène de l’urbanisation. En effet, les résultats d’une étude anthropologique menée en 2017 révèlent que 34,7 % de filles de moins de 18 ans ont été forcées de se marier en zone urbaine contrairement à 42,6 % en zone rurale. 76,3 % des femmes mariées prématurément se trouve à Labé, 69,6 % à Kankan, 67,9 % à Mamou, 64,9 % à Faranah, 51,8 % à Nzérékoré, 51,2 % à Boké,49,7 % à Kindia, et 37,1 % à Conakry. Le pourcentage d’enfants mariés en Guinée avant l’âge de 15 ans est de 27,2 % en 1999, 23,5 % en 2005, 25,9 % en 2012, et 22,8 % en 2016 tandis que celui du mariage d’enfants avant l’âge de 18 ans est de 66,4 % en 1999, de 70,8 % en 2005, de 57,8 % en 2012, de 54,6 % en 2016 (MIC, 2016).

  1. Causes des mariages précoces :

Les faits et les études démontrent qu’en Guinée, les conditions socio-économiques des parents ne sont pas un facteur majeur dans la motivation de ces derniers à donner leurs enfants en mariage prématurément. Dans la plupart des cas, les parents donnent leurs filles en mariage afin, selon eux, de les protéger et d’assurer leur dignité. L’argument communément avancé par ces parents est le suivant : à l’âge de la puberté, une fille est susceptible d’être engrossée par un homme, du fait de la naïveté. Pour comprendre leur argument, il faut rappeler qu’historiquement l’honneur de la famille est sacré en Guinée et la virginité de la femme est partie intégrante du code d’honneur familial. Se marier vierge est un geste que chaque fille voudrait et/devrait faire à son mari en guise de respect pour celui-ci et d’honneur pour sa propre famille. De ce fait, la peur des parents et de la société est une des raisons qui les emmènent à célébrer des mariages coutumiers d’enfants en vue d’éviter que ces derniers ne les déshonorent par des grossesses non désirées (Tassa, 2005). Néanmoins, si ces cas se produisaient, les filles risqueraient de rester célibataires à vie chez leurs parents, et les charges augmenteraient avec la naissance du bébé.Pour prévenir cette « humiliation », ils préfèrent donc les donner prématurément en mariage.

Dans la réalité, il n’est pas toujours facile de démêler les raisons tenant à l’honneur et à la prévention de l’humiliation des raisons économiques. Les deux facteurs s’entremêlent dans bien de cas.

En outre,certains parents avancent des raisons sociales, culturelles et religieuses (Danique, 2010). Conséquence de tout cela : Une fille sur deux est victime de mariage avant l’âge de la majorité et plus de 50 % des femmes ont été données en mariage à l’adolescence (MIC, 2016). Il est donc important d’identifier les facteurs déterminants qui favorisent la pérennité de cette pratique en Guinée.

Toutes ces causes sont renforcées/appuyées par l’insuffisance du cadre légal et la faible mise en application de la loi par les agents de l’État.

  1. Conséquences des mariages précoces :

Le mariage précoce a de nombreuses conséquences dangereuses pour les jeunes filles dont :

  • La forte mortalité maternelle et infantile
  • Les complications gynécologiques et sanitaires graves
  • La déscolarisation des jeunes filles dans certaines zones
  • Les grossesses non désirées, précoces et rapprochées
  • Les violences basées sur le genre
  • La polygamie
  • Le veuvage précoce
  • Le repli sur soi
  • Le manque d’autonomisation économique
  • Le manque d’épanouissement de la fille
  • L’exploitation de la jeune fille par des tâches domestiques abusives,
  • L’adultère, etc.

Autrement dit, le mariage précoce est à la fois une violation des droits de l’enfant et de l’Homme. En effet, ce phénomène présente des conséquences multiples sur le plan social, éducatif, sanitaire et économique.

  1. Mesures et stratégies de lutte contre le mariage précoce en Guinée

Plusieurs mesures, dispositions légales et réglementaires adoptées au niveau national, régional et international permettent de lutter contre les mariages précoces.

Le plan national 

La stratégie nationale de prévention et de riposte aux mariages précoces s’insère dans le cadre de la protection des droits de l’Enfant prôné par le Système de Protection des Enfants en Guinée (SYPEG), piloté par le Ministère de l’Action Sociale de Promotion Féminine et de l’Enfance (UNFPA, 2018). Le SYPEG aborde les problèmes de protection à travers ses subdivisions territoriales en l’occurrence : le CPP au niveau des villages, le Conseil Local Enfance et Famille au niveau communautaire, le Comité Local de Protection au niveau communal, la Coordination Préfectorale de la Protection de l’Enfance au niveau préfectoral, le Comité Régional de la Protection de l’Enfance au niveau régional, et le Comité Guinéen pour le suivi des droits de l’Enfant.

Cette stratégie favorise la décentralisation de la prise en charge des mesures de protection des enfants aux différents niveaux administratifs et privilégie la sensibilisation et la médiation au niveau local. Néanmoins, lorsque des poursuites judiciaires sont nécessaires, le concours de l’Office de Protection du Genre, de l’Enfance et des Mœurs (OPROGEM) et la stratégie nationale de prévention et de riposte aux mariages sont alors privilégiés.

De même, la constitution guinéenne en ses articles 5, 6 et 7 traitent du respect de la dignité des êtres humains et de l’obligation que l’État a de les respecter et de les faire respecter, donc du droit de la personne au libre développement de sa personnalité.

Le Code de l’enfant, adopté en 2008, est le principal instrument législatif de protection de l’enfance. Il fait la promotion des droits de l’enfant et repose sur des principes fondamentaux, dont l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit être privilégié dans les interventions et décisions prises.

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Le Code civil guinéen, en ses articles 280 à 286, offre de façon implicite la protection aux enfants contre le mariage prématuré et/forcé. Ces articles sont écrits comme suit :

Les hommes de moins de 18 ans, les femmes de moins de 17 ans ne peuvent contracter de mariage (Article 280)

Ce consentement doit être libre et non vicié (Article 281)

Il est exprimé au moment de la célébration du mariage et constaté solennellement par l’officier de l’état civil (Article 283)

Les personnes qui n’ont pas atteint l’âge de 21 ans ne peuvent se marier sans le consentement de leur père et, à défaut du père, sans celui de la personne qui exerce les attributions de chef de famille (Article 284).

Le code pénal guinéen de 2016 en vigueur en Guinée, en ses articles 319, 320 et 321, condamne explicitement le mariage des enfants et le mariage forcé et indique les sanctions qu’une personne responsable de ces pratiques peut encourir.

Le plan régional et international

La Guinée a librement adhéré aux initiatives de promotion et de protection des droits de l’Homme et de l’enfance. Parmi celles-ci on note :

La Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples adoptée le 21 juin 1981 par l’Organisation de l’Unité Africaine (actuelle Union Africaine) ;

La Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) adopté le 20 novembre 1999;

La Charte Africaine des Droits et du Bien-être de l’Enfant adopté en 1990 et entrée en vigueur en 1999 ;

Les objectifs du développement durable (ODD), adopté le 25 septembre 2015.

La scolarisation des jeunes filles et la sensibilisation des partisans du mariage précoce

L’impact de la scolarisation sur le mariage des adolescents est indéniable. En effet, l’éducation ralentit le processus du mariage précoce, car plus les jeunes filles poussent leurs études, mieux elles sont instruites, et plus elles ont la chance de ne pas être victimes du mariage précoce (Tichit, 2002). Donc, à présent, si elles bénéficient d’opportunités, elles peuvent être soutenues par des organisations qui visent la lutte contre le mariage précoce (MASS, UNFPA, UNICEF, 2009). Plusieurs différentes initiatives ont été mises en place à savoir l’octroi de bourses d’études et la protection des jeunes filles en assurant leur sécurité contre les violences sexuelles qu’elles pourraient subir. L’UNICEF Guinée soutient et fait promouvoir l’éducation des filles en offrant de l’eau potable aux villages les plus reculés. Il a construit des puits et des forages pour faciliter les tâches aux filles et femmes de ménage et pour que celles-ci puissent obtenir facilement de l’eau, car les faits démontrent que c’est la jeune fille qui porte la responsabilité d’aider sa maman dans les travaux ménagers.

Les jeunes filles. La sensibilisation des jeunes filles est fondamentale. Cette sensibilisation doit toucher leur scolarisation et leur vie sexuelle. Elle peut prendre la forme de débats, de conférences, etc. Ceci peut être fait dans les écoles et dans les lieux publics, par le biais des radios rurales et communautaires, et des télévisions. Il est important aussi de faire la promotion des stratégies de rétention scolaire des filles et, pour les longues études en offrant des bourses scolaires et en encourageant la juste distribution ou la réduction des tâches ménagères pour les filles.

En plus de la sensibilisation des jeunes filles, il est nécessaire de proposer des mesures préventives pour diminuer les mariages précoces et forcés. De ce fait, il faut poser des actions visant directement quelques acteurs sociaux concernés.

Les parents. Il faut sensibiliser et tenir un discours pertinent pour faciliter le changement des mentalités et des comportements des parents et familles pour qu’ils comprennent les conséquences néfastes (physiques, psychologiques, sociales, etc.) du mariage précoce et de faire une prise de conscience de leurs actes.

La population. Tant que l’opportunité se présente, il faut sensibiliser la population, les responsables communautaires sur les méfaits du mariage précoce, les méthodes de prévention et de réhabilitation et/de réparations des filles victimes par le biais des ONG nationales.

Les autorités communales. Il faut déléguer une grande responsabilité aux autorités communales et aux hommes dans la prévention et la lutte contre cette pratique dans les milieux les plus concernés.

Les communicateurs traditionnels et les médias. Ces acteurs doivent être impliqués pour maximiser la vulgarisation des discours et messages de plaidoyers en faveur de la protection des enfants et l’abdication des mariages précoces.

Les chefs religieux et coutumiers, les individus « modèles » et influents et écoutées. La sensibilisation des chefs communautaires, des chefs religieux, et des individus respectés dans la communauté au combat contre le mariage précoce est importante, car ils ont tous un grand pouvoir sur la population et peuvent aider à changer les mentalités sur ce sujet. En effet, ils peuvent aider à changer les mentalités afin que la scolarisation soit perçue comme étant importante dans le développement de chaque être humain, sans distinction de statut social, d’origine, d’ethnie, de race, etc.

Plaidoyer pour la scolarisation des jeunes filles auprès des décideurs et leaders d’opinion

Plusieurs acteurs se sont impliqués en Guinée pour mettre fin au mariage précoce. Ces acteurs sont entre autres des acteurs étatiques, des organisations de la société civile, des leaders religieux et des populations. Ils reçoivent le soutien des partenaires techniques et financiers composés de bailleurs de fonds (Union européenne, USAID, AFD, etc..), des partenaires bi et multinationaux (Banque mondiale, Fonds Monétaire Internationale, etc..), des ONG nationales et internationales. Tous ces acteurs sont cruciaux dans cette lutte nationale et leur rôle est le suivant :

Les acteurs étatiques. Ce groupe est constitué des départements ministériels et de leurs services de tutelle dont les sièges se trouvent à travers le pays et s’impliquent dans la lutte contre les mariages précoces et la réparation des conséquences de cette pratique. Il s’agit du Ministère de l’Action Sociale de la Promotion Féminine et de l’Enfance, du Ministère de la Sécurité et de la Protection Civile, du Ministère de l’Enseignement Pré-Universitaire et de l’Éducation Civique, du Ministère de la Santé et de l’Hygiène Publique, du Ministère de la Justice et de l’Hygiène Publique, du Ministère de la Justice Garde des Sceaux, et des organisations de la société civile.

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Plusieurs organisations de la société civile luttent pour cette cause. On peut citer entre autres l’Association guinéenne des assistantes sociales (AGUIAS), Women of Africa (WAFRICA), la Coalition nationale de Guinée pour les droits et la citoyenneté des femmes (CONAG/DCF), et le Réseau ouest-africain pour l’édification de la paix (WANEP) et certaines plateformes de la société civile tels que la Plateforme des citoyens unis pour le développement (PCUD), le Conseil national des organisations de la société civile de Guinéenne (CNOSCG), la Coalition nationale des organisations de la société civile (CONASOC). Avec plus de 2 décennies de lutte contre ce fléau et de défense de la cause et du bien-être de la femme guinéenne à leur actif, ces organisations et les partenaires techniques et financiers se donnent la main pour lutter contre toute forme de violence à l’encontre des enfants et des femmes.

Les partenaires techniques et financiers. Ce groupe englobe le Système des Nations Unis (Organisation des Nations Unies pour l’enfance, Fonds des Nations Unis pour la population, PNUD, etc.), les ONG internationales (Plan International, ChildFund, Hellen Keller International, Catholic Relief Services, etc…), les institutions de Breton Woods (Banque Mondiale, Fonds Monétaire International, etc..). Ces partenaires travaillent avec le ministère de tutelle dans la lutte et la prévention des mariages précoces.

Dans l’optique de mieux intervenir pour la lutte de cette pratique, un groupe de travail pour la protection de l’enfance a été créé, avec le soutien de l’Organisation des Nations Unis pour l’enfance (UNICEF), et renforce le système de protection du pays. Ce groupe a pour mission d’unir les efforts des différents intervenants pour opérationnaliser le système de protection des couches vulnérables, en particulier les enfants.

Malgré les efforts des acteurs, leur action est insuffisante sur le terrain à cause des éléments sous-mentionnées :

– Le manque de directive efficace pour guider leur action

– Le manque/le peu de ressources allouées à la cause

– Le manque de sanctions sévères des responsables des crimes

– Le manque/la faible considération des gravités socioculturelles

— Le manque de coordination entre les nombreux et différents intervenants

Cela dit, il est à noter que des efforts ont été faits pour réduire/mettre fin aux mariages précoces en Guinée. On peut citer notamment

— Le lancement d’une campagne nationale par le Ministère de l’Action Sociale, de la Promotion Féminine et de l’Enfance le 16 juin 2017 pour réduire cette pratique

– La création en février 2016 du Club de jeunes filles Leaders pour lutter contre les violences basées sur le genre, qui d’ailleurs mène des actions importantes dans ce sens.

– La tenue de conférences sur le mariage précoce regroupant plusieurs acteurs de protection de l’enfant.

  1. Recommandations :

Pour atténuer, voire même éliminer les mariages précoces et changer les mentalités dans ce sens, nous proposons quelques recommandations :

–          Rassembler, sensibiliser et enseigner les leaders coutumiers et religieux, les acteurs influents, les parents et les familles, les personnes écoutées et respectées, les confréries, les filles et la population en générale sur les conséquences du mariage précoce et sur les textes juridiques relatifs à ce sujet.

–          Procéder à un vibrant plaidoyer auprès des autorités traditionnelles et religieuses, des décideurs et chefs d’opinions pour la mise en application des lois sur cette pratique

–          Procéder à un vibrant plaidoyer pour que les décisions judiciaires sur des mariages précoces soient exécutées et pour que le taux d’éducation des enfants, notamment les filles augmente considérablement

–          Créer une plateforme pour servir d’outil de communication pour lutter contre cette pratique

–          Initier des campagnes nationales de sensibilisation sur le sujet

–          Faire bon usage des réseaux sociaux pour sensibiliser les jeunes

–          Rassembler les jeunes dans chaque communauté à travers l’organisation de fêtes pour les sensibiliser sur la pratique (e.g. faire un débat sur les mariages précoces pour environ 1 heure et partager des dépliants avant la fête)

–          Procéder à un plaidoyer pour l’enregistrement effectif et garantit des enfants à la naissance dans toutes les zones en Guinée, le raffermissement des décisions qui visent la scolarisation et l’épanouissement moral et physique des jeunes filles ainsi que pour l’amélioration des conditions de vie des familles vulnérables aux mariages précoces

–          Finalement, le ministère de l’Éducation pourrait incorporer des programmes d’éducation civique et morale dans les écoles primaires et secondaires pour lutter contre cette pratique

Références

Danique Tamasse Roger.(2010).« Genre et pouvoir en Afrique : fragments de réflexion sur les stratégies d’une meilleure représentation des femmes dans les instances décisionnelles ». Lomé, Annales de l’Université de Lomé, Tome xxx-2.

MICS. (2016). Étude sur la prévalence du mariage d’enfants en Guinée conduite en 2017 sous le financement de l’UNICEF. Enquête en grappes à indicateurs multiples.

TassaMonfai.(2005). Mariage précoce des jeunes filles et honneur social : les Konkomba de la préfecture de Dankpen. Mémoire ès-lettres, Lomé, Sociologie, Université de Lomé.

Tichit, Christine. (2002). Les femmes chefs de ménages au Cameroun : entre autonomie monoparentalité et isolement, Thèse de doctorat, Université Paris.

Rouguiatou Baldé, Ph.D Criminologie (Université de Montréal)

 

 

 

 

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