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Siaka Kouyaté est mort, Adieu l'Artiste ! Par Tibou Kamara




Ah, que c’est toujours difficile de perdre un confrère, c’est plus cruel encore de perdre un frère et c’est un drame pour chacun de perdre un ami qu’on ne verra plus, qu’on retrouvera, promesse de nos religions,  quand notre tour viendra de mourir aussi.

Siaka fut  » l’ami » de tous, parce qu’il ne voulait être l’ennemi de personne. On sentait cette précaution dans tous ses articles qu’il fallait comprendre comme une volonté de médiation dans les conflits des positions tranchées et dogmatiques. C’était difficile de le situer dans le débat car, usant de son génie littéraire et de la puissance de la langue française à sa portée, il dissertait sur  » l’humaine condition » sans se donner le droit de juger mais, sans  jamais aussi se départir de sa liberté d’écrire et de penser. C’était un homme qui allait toujours à l’encontre de l’opinion commune, des idées reçues et aimait à pourfendre les  »bien-pensants »: le  » politiquement correct » de la presse conventionnelle, connaissais pas. C’était moins pour le goût de la provocation et du non-conformisme que pour imposer la pratique et la culture de la tolérance dans le débat public où souvent et curieusement la pensée unique est de règle et d’usage chez les chroniqueurs et commentateurs.
Alternant arguments et contre-arguments dans un style toujours flamboyant, comme s’il avait peur de se découvrir, Siaka a toujours évité l’ennui du parti-pris et s’est efforcé de toutes les façons possibles à ne pas tomber dans le piège du sectarisme qui mine sa société. En vain? En tout cas, Siaka était aimé de tous ceux qui voyaient en lui un esprit indépendant animé de vérité et de justice; il était, par contre, détesté d’autres quand il paraissait partisan ou militant ou s’engageait simplement à défendre des causes présumées perdues ou douteuses. S’en est-il jamais ému, prompt à excuser tout le monde et de tout temps drapé dans une sérénité à toute épreuve qui frise l’indifférence consciente ? Richard avait le mérite de ne laisser personne indifférent!

Au moment où il va connaître le repos éternel, lui qui toute sa vie durant n’a pas envisagé la retraite pour la préparer, lui qui n’a pas voulu voir les années passer donc se rapprocher de la mort, j’ai pour lui une pensée émue et affectueuse. Il n’aurait pas apprécié les pleurs encore moins  les lamentations au tour de sa dépouille, lui qui était d’humeur égale et traversait le temps et les épreuves avec une insouciance étonnante et un détachement total.

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Je ne sais pas ce qu’il aurait pensé de sa mort, mais il n’y aurait pas eu de différence avec sa philosophie de la vie qui a consisté à ne pas croire en ses complications. Par le ton, les actes et le comportement, Siaka simplifiait tout, ne se préoccupait de rien, ne s’occupait de personne, au point de sembler manquer d’ambitions et de  » sérieux » dans sa vie. Aussi malgré le talent que chacun lui connaît et lui reconnaît surtout en ces instants d’hommages pathétiques, une reconnaissance tardive de ce grand homme, il n’a pas connu le bonheur dans le sens des hommes c’est-à-dire la réussite matérielle souvent d’ailleurs un faux accomplissement. Il n’a pas non plus été au sommet de la pyramide sociale comme il le méritait. (https://youngmedicalspa.com) Mais il n’a pas été moins influent et respecté de ses contemporains, grâce à son esprit polémique et fertile et aussi à sa profonde humanité.

Mes pensées vont aussi à sa dévouée et loyale épouse avec laquelle il a entretenu une relation plutôt complexe  mais,  ô combien, solide qui rappelle étrangement  celle de Jean Paul Sartre et Simone de Beauvoir c’est-à-dire  » un amour nécessaire » qui survit à toutes les passions auxquelles les hommes, les artistes comme Siaka peuvent être exposés. Elle doit être aujourd’hui confrontée à un énorme vide dans sa vie que son Siaka qui lui est resté fidèle dans son cœur et sa conscience amoureuse a remplie de son énergie inépuisable et de son infinie tendresse. Le pire dans l’épreuve de la mort, c’est la certitude qu’elle est inévitable, mais c’est surtout le sentiment d’oubli qui l’accompagne et livre à la solitude une fois le moment de l’émotion et du deuil passé. Siaka avait déjà disparu, oublié de cet espace public et médiatique si ingrat où il faut être présent pour continuer à compter. Aussi lorsqu’il a repris sa plume à la faveur de nombreuses sollicitations pour des chroniques qui rappellent les plus belles pages du journalisme guinéen dont il est l’un des grands pionniers, personnellement, j’ai été heureux pour lui et me rappelle l’en avoir félicité. Cet homme, aujourd’hui arraché à notre affection, a partagé avec les jeunes journalistes que nous étions des moments inoubliables à l’observateur où il a fait un certain temps son journal le citoyen. Il y a apporté son savoir, son savoir-faire, nous a nourris d’anecdotes et de sa riche expérience pendant ces longues et nombreuses nuits blanches passées avec lui. Il a marqué de sa signature l’histoire de la presse libre guinéenne et à ce titre constitue une référence pour les générations montantes.
La dernière fois que l’occasion m’a été donnée de lui parler, il m’avait fait part, avec ce don de tout tourner à la dérision qui lui était propre et singulier, de son intention de se rendre en France pour des visites médicales, car il se sentait malade et épuisé. Je lui ai proposé de venir au Maroc, mais il m’a dit que la France était mieux indiquée pour lui car, il y était déjà attendu. Depuis, je n’ai plus eu de nouvelles jusqu’à ce jour fatidique du lundi 27 janvier 2014 où on m’a annoncé sa mort, en même temps que le pèlerinage qu’il a effectué sur les lieux saints de l’islam. Un appel du Seigneur à un homme qui, certes, n’avait pas une foi ardente, mais ne croyait pas moins en Dieu.
En homme libre et lucide, il a dépeint la misère et aussi la générosité du monde dont il s’est détourné des nombreuses illusions et vanités pour attendre l’espérance de la mort qui est le début d’une autre vie, sans doute, meilleure à celle qu’il a connue, pardon, subie dans la solitude et la liberté communes aux artistes. Adieu Siaka, Salut l’artiste!

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Tibou Kamara    , aminata.com/ www.nouvelledeguinee.com

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