
Sentiment de révolte, choc, indignation et stupéfaction : reportage au cœur du champ de ruines de Demoudoula
Choc, stupéfaction ou indignation, tel est le sentiment du visiteur dans le quartier Demoudoula dans la commune de Ratoma après l’opération de démolition des habitations lancée par le gouvernement guinéen.
Autrefois des maisons à perte de vue, Demoudoula a, en moins d’une semaine, changé de visage pour devenir un champ de ruines avec une centaine des maisons détruites. Sur place, les toits de maison, les murs écroulés sont indescriptibles. Débout au milieu des ruines, à l’aide d’un marteau ou d’une pioche, des victimes tentent désespérément de retrouver quelques biens enfouis sous les débris.
Mamadou Saïd Condé, le sexagénaire et sa famille ont été pris au dépourvu. Car, explique-t-il, sa maison ne faisait pas partie de celles ciblées ou cochées. «La démolition a débuté de l’autre côté de la rivière. On ne croyait pas qu’ils viendraient jusqu’à chez nous parce que nos maisons n’étaient pas cochées. C’était une surprise totale, on n’avait même pas reçu de préavis. Personne n’a eu le temps pour rassembler ses affaires».
Non loin de chez M. Condé, assis sous un manguier avec son épouse Hadjirata et ses trois enfants, Alphadjo, paralysé depuis plus d’un an a assisté, impuissant, à la destruction de sa maison. «ma maison était le seul bien sur lequel je pouvais compter pour réunir ma famille», a-t-il témoigné. «Je n’ai fait que 7 mois dans cette maison. Je ne peux rien faire à cause de ma maladie et je n’ai aucun endroit où vivre désormais. Toutes nos affaires ont été détruites. Actuellement, ma famille et moi passons la nuit sous ce manguier et nous vivons de l’aumône».
Yomalo Vakanly Dirico venait tout juste de finir la construction de sa villa. C’est depuis son lieu de travail et contre toute attente qu’il a été alerté par le voisinage de la destruction de la maison. Arrivé sur place, il trouve sa femme évanouie et l’amène d’urgence à l’hôpital. «Je n’ai donc pas pu sortir grand chose dans la maison parce que ma femme avait fait une crise. Nous passons la nuit chez les voisins et le matin on se rassemble pour récupérer quelques matériels de construction qui n’ont pas été détruits. Au total 12 bâtiments non cochés ont été démolis».
Menuisier de profession, Ibrahima Diallo a tout perdu comme d’ailleurs beaucoup d’autres, dans la démolition. Il dit avoir tenté de trouver en vain une solution pour que sa maison soit épargnée. «Les personnes qui travaillent à l’Habitat nous on dit que cette affaire va au-delà de leurs compétences. C’est qui nous a choqués le plus, c’est le fait de détruire nos maisons sans prévenir». Il envisage d’envoyer sa famille au village, mais craint pour ses enfants qui vont devoir abandonner leurs études.
Sous le soleil, Moussa Diallo et ses enfants étalent les quelques habits qui leur restent et que la pluie a mouillés la veille, pendant que sa femme prépare le repas. C’est avec des larmes aux yeux qu’il témoigne. «Nous avons reçu de convocation et nous sommes allés à la gendarmerie de Kipé. Ils nous ont demandés depuis combien d’années nous avons acheté les parcelles, et combien d’enfants nous avons. Ensuite, ils nous ont enregistrés et nous dit qu’ils nous rappelleront sans jamais le faire. C’est les machines qu’ils ont envoyées pour démolir les maisons. Nous avons rien pu sauver à part nos habits. Nous passons la nuit au dehors, sous la pluie et vivons de l’aumône».
Cette autre victime est une femme célibataire et sans enfants. Elle dit avoir travaillé dur pendant plusieurs années avant de pouvoir commencer de construire son duplex. C’est sous anonymat qu’elle dénonce c’est qu’elle qualifie d’injustice. «Si Demoudoula était une zone réservée, ils auraient au moins pris la peine de nous informer dès le début avant qu’on ne commence à construire. Ce qui est marrant, ce qu’il y a des maisons qui ont été épargnées parce que les propriétaires travaillent avec le gouvernement. Je suis une femme et je me suis battue toute seule avant de construire. C’est plus de 80 mille dollars US que j’ai perdus».
Cette phrase de Pierre Corneille dans le Cid «œuvre de tant de jours en un jour effacé», semble bien qualifier la démolition des maisons à Demoudoula par le gouvernement guinéen.
Reportage de Abdoul Malick Diallo et Fatoumata Lamarana Diallo