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REPRESSION EN ESWATINI: POURQUOI LA JEUNESSE D’AFRIQUE AUSTRALE TEND-ELLE l’OREILLE ?

REPRESSION EN ESWATINI: POURQUOI LA JEUNESSE D’AFRIQUE AUSTRALE TEND-ELLE l’OREILLE ?
eSwatini est un pays rural d’apparence tranquille. Depuis quelques semaines pourtant, la petite monarchie d’Afrique australe vacille. Tandis que le Roi tente de rétablir son pouvoir absolu par la violence, les forces vives du pays inspirent les jeunes de la région, eux aussi touchés par le chômage de masse et l’inefficacité de leurs élites.
Thabani Nkomane a été aperçu pour la dernière fois en vie le 8 mai. Quelques jours plus tard, son corps est retrouvé dans un champ proche de Manzini en eSwatini – ancien Swaziland. La police prétend qu’il est mort dans un accident de voiture, sa famille et ses proches sont persuadés que la police l’a tué. Le Hashtag #JusticeForThabani prend de l’ampleur, dans un contexte de chômage de masse, il ne faut pas longtemps à la population pour se mobiliser et demander justice pour l’étudiant de 25 ans inscrit dans la faculté de droit du Royaume. Les choses prennent très vite une tournure régionale lorsque de nombreuses vidéos devenues virales mettent à jour la violence du régime. Plusieurs centaines de Sud-Africain se retrouvent aux différents postes frontières du pays pour protester en solidarité.
Le 29 Juin dernier, malgré quelques tours de passe-passe organisés par le gouvernement pour faire redescendre la tension, la rue s’enflamme à nouveau lorsque le gouvernement décide de couper internet, alors que les rumeurs d’exaction se multiplient. Les infirmières de la capitale confirment un afflux sans précédent de patients touchés par balle tandis qu’au moins 50 morts sont recensés dans les morgues du pays. Les hommes du roi tirent à balle réelle sur les manifestants, torturent des journalistes sud-africains venus couvrir les événements, et mutilent des leaders syndicaux.
UN POUVOIR FAUSSEMENT TRADITIONNEL DEVENUE DICTATURE MODERNE
Unique en son genre par son style de gouvernance dit de “Tinkhundla”, l’ancien swaziland devenu en 2019 eSwatini, n’en est pas moins une dictature moderne. Capable d’allier renseignement de terrain, interception des télécommunications, jet de grenades lacrymogènes en hélicoptère ou déploiement de l’armée contre des usines. Le “Tinkhundla” est avant tout un pouvoir moderne désireux de se faire passer pour traditionel.
Devenu britannique en 1903 lors de la défaite des Boers face aux troupes anglaises, le pays gagne son indépendance en 1968 lorsque accède au pouvoir King Sobhuza II. Comme l’ensemble du leadership africain de son temps – qui choisit alors le parti unique face à la démocratie dite multipartite, alors jugée peu encline au développement national – Sobhuza II décide en 1973 de concentrer le pouvoir législatif, judiciaire et parlementaire entre ses mains. Le “Tinkhundla” est né. C’est de ce pouvoir “absolu” qu’héritera a ses 18 ans, l’un de ses fils Mswati III, toujours au pouvoir en 2021 et aujourd’hui âgé de 53 ans.
Entre temps, le monarque aura eu le temps de moderniser son régime sécuritaire plutôt que ses institutions politiques – en évitant notamment l’avènement du multipartisme – tout en se montrant particulièrement doué pour s’insérer dans une nouvelle bourgeoisie régionale, née des politiques néo-libérales permettant la circulation du capital, à des échelles jusque-là jamais entrevues dans le petit royaume.
DE MONARQUE SWAZI A BOURGOIS REGIONAL
Quand son père devait gérer les intérêts du capitalisme Sud-Africain dans le royaume, respectant de facto le monopole de l’Anglo-American, Mswati III apprend quant à lui à jouer dans la cour bien plus grande du capitalisme globalisé mise en place par les politique d’ajustement structurelle dans les années 2000. Pendant que la plupart des Swazis doivent émigrer chez leurs puissants voisins Sud-Africains ou Mozambicains, des centaines de “deal makers” affluent à la cour du souverain pour y négocier des droits miniers. Ces minéraux seront exportés via le port de Maputo, lui-même tenu par la bourgeoisie du FRELIMO, et iront se transformer ailleurs dans le monde. Qu’importe, sa majesté prendra 25% des dividendes, autant que son gouvernement.
En ouvrant la porte à de nouveaux investisseurs, le monarque n’oublie pas de placer des membres de la famille royale dans les conseils d’administrations des grandes entreprises régionales. Il fait d’une pierre deux coups, comme lorsqu’il garantit une licence de télécommunication au géant Sud-Africain MTN. Il s’enrichit abondamment en devenant actionnaire principal de la filière MTN eSwatini, et collecte ainsi de cossues dividendes sur le dos de sujets de plus en plus connectés – sans jamais avoir à développer aucune compétence national en télécommunication, ou même agir pour que le reste de cette rente reste dans les frontières du pays et ne soit pas envoyé à Johannesburg – , tout en gardant le contrôle du réseau lorsque les choses dérapent et qu’une fermeture temporaire sert à ralentir l’échange d’informations, comme ce fut le cas la semaine dernière. Il faut au moins cela pour maintenir silencieuse une population dont plus de 60% vit avec moins de 2 dollars par jour, lors que votre fortune personnelle est estimée à près de 200 millions de dollars.
La plupart des observateurs de la région ne s’y trompent pas, eSwatini est un maillon de pouvoir d’une chaîne qui s’étend de Johannesburg à Harare en passant par Windhoek, Maputo et Lusaka. La jeunesse d’Afrique australe l’a bien compris, ses Élites politico-économiques sont avant tout régionales, et n’oublient jamais d’apprendre les unes des autres, jusqu’à frôler le grotesque. Prenez l’exemple des dernières lois dites de Cybersécurité votées en 2020 et destinées à contrôler l’émergence de discours contestataires sur les médias sociaux. Il s’agit de simples copiés-collés de lois liberticides passées quelques mois plus tôt par Manganga, auxquelles on avait simplement substitué le mot eSwatini à celui de Zimbabwe.
Alors lorsque les habitants de ce petit royaume décident d’affronter héroïquement des forces sécuritaires pourtant bien huilées, c’est toute la jeunesse de la région qui tend l’oreille, échange et se prend à rêver d’une faille. En Afrique Australe, région la plus stable politiquement du continent, c’est en eSwatini que les promesses d’une démocratie qui écoute les besoins de son peuple plus que ceux du Capital renaissent.
Thomas Lesaffre
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