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Littérature : Michèle Jullian nous parle de son dernier roman (Interview)

« Dilemna » est le titre provisoire du dernier roman de la photographe-romancière Michèle Jullian. Dans cette œuvre romanesque mélangée de la réalité à la fiction, l’auteure plonge ses lecteurs au cœur d’un Maroc où se côtoient la sexualité débridée et les multiples interdits de la religion.

Une réalité qui fait souvent des victimes dont la jeune Lucy après une déception à l’issue d’une rencontre amoureuse qui lui a été fatale. La romancière retrace l’itinéraire de Gabrielle amie de Lucy qui jure de venger sa copine. Dans cette soif de justice, Gabrielle va affronter le pervers manipulateur Ithri qui prêche en longueur de journée la liberté. Cette semaine, Michèle Jullian se prêté aux questions de notre rédaction. Lisez.

Aminata.com : vous êtes une grande journaliste, une amoureuse de la photographie et aussi romancière. Madame, présentez-vous aux milliers de lecteurs d’Aminata.com qui ne vous connaissent pas.

Michèle Jullian : je ne suis pas journaliste, j’espère seulement en avoir l’œil, la curiosité et le souci de quête de vérité – si toutefois celle-ci existe – avec interviews, reportages et mon point de vue personnel de voyageuse.  En revanche je suis une vraie amoureuse de la photographie. Quant au terme de romancière, je le revendique totalement, même s’il est relativement récent.

Mon parcours est plutôt chaotique, comme la vie et comme l’amour que je lui porte. Rien ne me prédestinait à ce que je sois chroniqueuse à Radio France, (France Inter), mais j’aime monter dans les trains en marche. Plus tard détour par la télévision où je m’occupe de casting, de traductions, et participe à l’écriture de séries et de téléfilms, pour finir, avec mon mari Marcel Jullian (célèbre scénariste) en tant gérante d’une boite de prod : « etc. productions »), tout cela sur fond de voyages et d’étude de langues asiatiques (thaï, mandarin, Indonésien). J’ai passé quelques années en Thaïlande, pays de ma fille d’adoptive, où j’ai enseigné le français puis l’anglais (à de réfugiés en provenance de Birmanie) Dans ma famille, quand j’étais jeune, on disait « bonne à tout bonne à rien », ma vie prouve le contraire, enfin j’espère !

Ma première question peut vous paraître banale mais je la pose quand même. Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ce roman ?

Mes romans sont un tissage de fiction et de réalité. C’est toujours la réalité qui m’inspire au départ et DILEMMA n’échappe à la règle. Très souvent je raconte une histoire avec un fil conducteur nécessaire, dans un contexte politique, social, ou historique bien réel. Ce fut le cas pour « Théâtre d’Ombres », « Là où s’arrêtent les frontières », « Une femme en bleu », et « Le velours de l’enfer ». Pour « DILEMMA » (titre provisoire), le poids de la réalité y est plus important que la fiction. Le background est social et religieux, on y sent très fort le poids de l’Islam avec ses contraintes et ses règles qui déterminent les comportements des personnages.

Mes motivations furent d’abord personnelles, j’aime partir de choses vécues, autobiographiques, pour élargir ensuite à une réalité plus universelle. L’intrigue n’est qu’un prétexte pour vagabonder ensuite dans mon imaginaire en mettant à profit mes connaissances du pays (people Berbère Amazigh, Législation Marocaine, religion, etc.)

Deux amies Lucie et Gabrielle se vouent d’une amitié fidèle et sincère. Lucy va se suicider après avoir fait connaissance d’un pervers narcissique dans un pays maghrébin. Parlez-nous brièvement de cet épisode.

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Est-ce qu’on meurt encore d’amour aujourd’hui ? il se pourrait que oui. Il y a tellement de façons de mourir. Pour Lucy, c’est d’abord, la perte de l’appétit, puis celui du goût de vivre, la dernière étape – la prise de médicaments – mettra fin à une vie où plus rien de ce qui la constitue n’offre autant d’excitation que ce qu’elle a connu avec cet homme, disons « exotique ».

Gabrielle en lisant le journal de sa copine va on peut dire se culpabiliser de n’avoir pas été pour peut-être sauver son amie. Mais après avoir lu le journal de Lucie, elle saura les causes de son suicide et fera de son mieux pour rendre justice à sa défunte amie. Comment va-t-elle s’y prendre.

Gabrielle, amie d’enfance de Lucy, culpabilise à la mort de son amie. Elles se croyaient fusionnelles. Lorsqu’elles étaient jeunes, elles avaient l’habitude de sentir à distance, le bonheur ou le malheur de l’autre, malheureusement, cela ne fonctionne plus avec l’âge adulte. Pour apaiser ses regrets, elle cherchera à venger son amie. Il lui faudra donc, à son tour, rencontrer celui qu’elle tient pour responsable de la mort de Lucy.

Dans votre roman, vous mettez en exergue l’amour, l’amitié, la manipulation, la soif de justice, … Comment vous êtes parvenu à concilier les trois personnages de votre œuvre en rapport aussi avec les thèmes ?

Il y a bien sûr un personnage central, qui est l’homme, le séducteur, l’homme à femmes : Ithri dont le nom en berbère signifie, « étoile » ou plus précisément « astre » …( et son contraire, le désastre). C’est un roman à 3 personnages exclusivement, un peu comme une pièce de théâtre dans un décor quasi unique : celui du Maroc.

Dans votre œuvre romanesque, on n’y voit des conséquences parfois désastreuses de nouvelles technologies dans certains pays conservateurs où la jeunesse sous le poids d’un islamisme rigoriste découvre à travers l’internet la liberté et la décadence sexuelle. Expliquez-nous.

J’ai connu le Maroc dans ma jeunesse, je l’ai senti évoluer vers la radicalisation avec l’aide et le soutien de l’Arabie Saoudite, un pays où il y a plus de mosquées que d’écoles et d’hôpitaux. J’y ai voyagé avec mari et enfant, avec amie, avec sœur, et ces dernières années, seule. J’ai pu constater le poids de la religion sur les femmes et sur le comportement des hommes. Ils ont, depuis peu, accès aux nouvelles technologies, pas un seul vieux bédouin sans son Smartphone, même dans les vieux cafés du bled. Chez les plus jeunes (de 24 -40 ans) l’utilisation de Uporn mêlée aux tentations d’aventures passagères avec voyageuses aux mœurs supposées légères ou pas (dans leur imaginaire, elles le sont, d’ailleurs dans le roman, Ithri prétend que toutes les femmes viennent chercher le sexe au Maroc) chauffent les esprits, surtout dans ce contexte d’interdits où tout le monde espionne tout le monde et où le gouvernement islamique gère aussi bien la rue que la chambre à coucher. Cette distorsion entre pornographie et restrictions religieuses exacerbe les esprits. Comme dirait un ami, « les hommes meurent de soif près de la source ». Toute femme de passage, quel que soit son âge, est tentation. Et puis bien sûr et depuis peu les réseaux sociaux – Facebook, Messenger, WhatsApp – sont de véritables terrains de séductions… ou de harcèlements, tout cela mêlé à la nécessité de trouver des clients pour un pays qui compte autant de guides que de touristes.

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L’internet est aussi un outil de prédilection pour des prédicateurs salafistes. Beaucoup des jeunes se radicalisent à travers des violences fatwa diffusées sur le net. On a vu des jeunes occidentaux qui sont partis en Syrie qui auparavant s’étaient radicalisés par l’internet. Votre roman y traite. Qu’est-ce qu’il faut selon vous pour lutter contre l’extrémisme à la toile ?  

Je n’ai pas abordé ce problème de l’emprise des salafistes sur les esprits des jeunes, mais j’ai pu remarquer, et surtout à Tanger par exemple, qu’adolescents et jeunes-gens avaient des regards critiques sur les femmes dans la rue. J’ai senti le poids de regard sur moi qui voyageait seule.

Revenons sur le contenu de votre roman, Gabrielle en tentant d’être justicière va trouver des failles dans la législation marocaine où les droits de femmes par exemple sont bafoués et les femmes sont presque sous tutelle des hommes. Nous aimerions que vous nous parliez brièvement de ça.

Sur la vengeance de Gabrielle, j’ai été tentée par différentes options. Il existe par exemple des lois qui permettent aux femmes mariées de dénoncer leur mari si celui-ci a des rapports avec une autre femme. D’autres choix sont possible, mais j’avoue ne pas avoir encore choisi l’un d’eux. Je me réserve un certain suspens, nécessaire pour l’appétit d’écriture. Je suis actuellement dans le dernier quart du roman. J’aime me surprendre moi-même, même si je sais où je vais.

L’internet a fait que des rencontres virtuelles se font en longueur de journée. C’est aussi un moyen utilisé par les pervers narcissiques à l’image de votre troisième personnage pour faire du mal à d’innocentes touristes occidentales. Quels conseils donneriez-vous aux touristes « blanches » ?

Sur les conseils à donner, je me suis aperçue que les mises en garde ne servaient pas à grand-chose. D’autant que dans ce cas précis, chacune pense être la seule, l’élue !  alors casser une illusion !! Et je ne veux pas jouer les pères la morale !

Votre mot de la fin

Il existe autant de formes d’amour que de personnes j’imagine, je dois toutefois faire le constat que les miennes – enfin celles de mes romans – sont majoritairement interculturelles.

Mon mot de la fin ? une pensée du philosophe Persan Omar Khayyâm, découvert au fil de cette écriture et que j’ai mis en exergue dans le roman :

« Quel homme n’a jamais transgressé Ta loi, dis ?

« Une vie sans péché, quel goût a-t-elle, dis ?

« Si Tu punis le mal que j’ai fait par le mal

« Quelle différence entre Toi et moi, dis ?

Ça résume assez bien l’esprit du roman, et surtout la philosophie du personnage masculin central qui prêche la liberté totale sur terre, pour tous, aussi bien hommes que femmes. « Le paradis est sur cette terre alors il faut en profiter car on ne sait rien de l’au-delà ». Une façon de « prêcher pour sa paroisse » pour utiliser une expression populaire !

Entretien réalisé par Alpha Oumar Diallo pour Aminata.com

alphanyla@gmail.com

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