
Crise du Golfe : l’Arabie saoudite et ses alliés s’acharnent
Enlisement. Depuis le début de la crise diplomatique qui secoue le Golfe, débutée le 5 juin dernier, les jours se suivent et se ressemblent. L’Arabie saoudite, à la tête d’un quartet comprenant les Émirats arabes unis (EAU), le Bahreïn et l’Égypte, accuse Doha de complicité avec le terrorisme international, et surtout de se rapprocher de son ennemi de toujours, l’Iran chiite. Inacceptable pour Ryad, qui a décrété un blocus diplomatique et économique à l’encontre de son petit, mais déterminé rival.
Les efforts du Qatar
Ce n’est pas faute pour le Qatar, qui n’a rien à gagner à ce que cette situation s’éternise, de faire des efforts. L’émir qatari, le cheikh Tamin Ben Hamad Al-Thani, a ainsi pris début septembre l’initiative d’appeler son homologue saoudien, le prince héritier Mohammed Ben Salman Al-Saoud. Et d’exprimer son « désir de s’asseoir à la table du dialogue », une première bienvenue à ce niveau de responsabilité depuis le début de la crise.
Non content d’amorcer un début de désescalade, Al-Thani aurait même, selon l’agence qatarie QNA, accepté une proposition du prince saoudien visant à charger deux personnalités de chaque pays « d’examiner les points en litige, sans atteinte à la souveraineté des Etats ».
Las, le dirigeant qatari s’est vu opposer une fin de non-recevoir de la part d’Al-Saoud, Ryad affirmant que les modalités du dialogue restaient à déterminer et accusant, alors que tout démontre le contraire, les autorités de Doha de n’être « pas sérieuses dans leur désir de dialogue ».
Le Qatar, qui a été sélectionné par la FIFA pour accueillir la coupe du monde de football en 2022, n’a malgré ces déboires pas l’intention de céder une once de sa souveraineté, et entend bien faire de l’évènement sportif le plus regardé au monde la démonstration de sa capacité à résister aux pressions.
Vaille que vaille, l’émirat poursuit donc la préparation de la compétition. Et réalise, à propos de l’épineuse question des travailleurs étrangers participant à l’édification des équipements sportifs sur son territoire, des efforts substantiels. Épinglé depuis plusieurs années par des ONG de défense des droits de l’homme sur les conditions de travail des quelque deux millions de travailleurs immigrés, l’émirat vient en effet de passer un accord important avec l’Organisation internationale du travail (OIT) et la Confédération internationale des syndicats.
Les réformes promises constituent un tournant majeur. Elles prévoient notamment l’instauration, attendue par les ONG, d’un salaire minimum, la création d’un « fonds de soutien et d’assurance pour les travailleurs » ou encore l’interdiction pour les employeurs de modifier le contrat des ouvriers après leur arrivée sur le territoire qatari.
Mais la réforme la plus attendue est celle de la fameuse « kafala », cette procédure « d’adoption » spécifique au droit musulman, qui impose aux travailleurs étrangers d’avoir un « parrain » local, que ce soit une personne physique ou morale. Une procédure souvent dénoncée comme s’apparentant à une forme d’esclavage, l’employé devant obtenir l’autorisation de son « parrain » pour changer de travail ou quitter le territoire. Si les associations de défense des travailleurs se montrent prudentes quant à l’application concrète de ces mesures, ces efforts ont été salués par l’ONG Amnesty International comme une « lueur d’espoir ».
Acharnement et jalousie
Dans la tempête, le Qatar avance donc. Mais en parallèle, ses détracteurs du quartet s’acharnent. Ryad et ses alliés comploteraient même ouvertement pour faire tomber la dynastie des Al-Thani. C’est ce que le cheikh Tamin a lui-même déclaré, le 29 octobre, à la chaîne américaine CBS. « Ils veulent un changement de régime, c’est évident », analyse l’émir. « L’histoire nous enseigne qu’ils ont déjà essayé, en 1996, quand mon père est devenu émir ».
De fait, l’Arabie saoudite n’accepte pas que le Qatar se détourne de son giron. Quitte à fomenter une invasion du pays. L’ancien premier ministre qatari, Abdullah Ben Hamad Al-Attiyah, a ainsi affirmé que « des milliers de mercenaires de la compagnie américaine Blackwater avaient été entraînés aux EAU pour envahir le Qatar » et renverser le monarque actuel, avant que la Maison-Blanche ne mette son veto à l’opération. Selon le quotidien espagnol ABC, l’objectif aurait été de remplacer le prince « par un autre membre de la famille royale plus docile aux intérêts de l’Arabie saoudite ».
Selon les observateurs du dossier, le Qatar paie, au prix cher, son statut d’exception parmi les pays du Golfe. Son ouverture économique, culturelle et économique, qui tranche avec la fermeté des Saoud et leur propension à manier le bâton, provoque ce que Doha qualifie de « jalousie mesquine » de la part de Ryad ou d’Abou Dabi. « L’exigence des EAU que le Qatar abandonne la Coupe du monde montre que son blocus illégal est fondé sur de la jalousie et non sur de réelles préoccupations », dit-on à Doha. Pour l’heure, le Qatar tient bon, comme le démontre la déclaration du service de communication qatari à l’AFP : « La Coupe du monde, comme notre souveraineté, n’est pas négociable ». A bon entendeur.
Par Abdel Doukouré