Guinée : un Etat sans constitution, une démocratie foulée au sol !
Incroyable mais vrai, la nouvelle constitution guinéenne qui a été adoptée dans la plus grande contestation et dans une répression sanglante a coûté la vie à plus de 29 personnes. Malgré, le rejet total d’une majorité écrasante de la population, de l’opposition et de la communauté internationale, le projet de de nouvelle Constitution publié en janvier et soumis au référendum le 22 mars dernier, et le texte final, publié le 14 avril au journal officiel de la République est différent du projet soumis le 22 mars à l’approbation du peuple par voie référendaire. Un fait inédit !
Dans ce holdup constitutionnel et du tohu-bohu communicationnel, le Barreau de Guinée relève au moins 21 modifications par rapport au projet de Constitution publié en janvier, au journal officiel. L’Ordre des avocats a dénoncé « une infraction de faux en écriture publique » et demandé le retrait de ce texte. Et, les autorités guinéennes persistent. Selon le ministre de la Justice, le texte promulgué le 14 avril dernier est le seul ‘’applicable’’ en l’Etat. De son côté, l’opposition voit un stratagème de la part du pouvoir et dénonce une « falsification » de la Loi fondamentale, tandis que le parti du président, le RPG, minimise cette polémique.
Selon des juristes constitutionnalistes, c’est la plus grande délinquance constitutionnelle de l’histoire du monde entier vient d’être réalisée en Guinée. Mais, comment en est-on arrivé là ?
Que dit l’accord de Ouaga ?
Cet accord signé le vendredi 15 janvier 2010 à Ouagadougou dans la capitale du Burkina-Faso pour une sortie de crise en Guinée entre l’ex-chef de la junte, le capitaine Moussa Dadis Camara et le Général Sékouba Konaté, président intérimaire sous l’égide de l’ancien président Blaise Compaoré.
Cet accord prévoyait l’organisation, dans un délai de 6 mois, de l’élection présidentielle à laquelle ne participeront pas les membres du Conseil National de Transition, le chef de l’Etat de la Transition, les membres du CNDD, le Premier ministre, les membres du gouvernement d’Union nationale et les membres des Forces de Défense et de Sécurité en activité.
A la sortie de cet accord, une réunion a été tenue entre les protagonistes qualifiés pour la course à l’élection présidentielle. Lors cette rencontre Il a été décidé par consensus que le Général Sékouba Konaté promulgue la constitution mais que le gouvernement qui viendrait doit faire une nouvelle constitution par voie référendum dans les 6 mois et la mise en place de toutes les institutions.
C’est pourquoi, certains intellectuels malhonnêtes à la recherche d’une place au soleil et à la prostitution de leurs plumes ignorent carrément ce côté de l’accord qui a été décidé par consensus entre les leaders politiques à Ouagadougou. Peut-on bâtir un Etat digne du nom avec des intellectuels véreux et corrompus jusqu’à la moelle épinière ?
Arrivé au pouvoir en décembre 2010, Alpha Condé oublie le pacte conclu entre lui et ses paires de l’opposition d’alors à Ouagadougou et vire à 180° degré. « Lorsque nous avons fait la réunion à Ouagadougou, il y’a eu consensus que nous allons accepter pour sortir de la transition que le Général Sékouba Konaté promulgue la constitution, mais que le gouvernement qui viendrait doit faire une nouvelle constitution, tout le monde était d’accord la dessus. Mais, quand moi, je suis arrivé, j’ai dit que j’ai hérité d’un pays pas d’un Etat. Donc, pour moi, la priorité n’était pas de faire une constitution mais redresser le pays et reformer les institutions comme l’armée », déclarait le numéro un guinéen chez nos confrères de France24 et RFI.
« La constitution guinéenne doit répondre au besoin du monde actuel. Pourquoi, le cas de la Guinée poserait problème alors qu’ils y’a eu des chefs d’Etats qui on fait 5 à 6 constitutions ? Quand je suis arrivé, j’avais le pouvoir de faire une constitution mais est-ce que cela était la préoccupation des Guinéens de faire une constitution ? Cette constitution est bâclée, c’est un des groupes de personnes qui l’ont fait à leurs mesures et je l’ai critiqué bien avant l’élection. La constitution actuelle elle n’est pas ‘’bonne’’ tout le moment le sait. On était obligé de faire des consensus pour violer la constitution », Martèle le président Condé.
Ironie du sort, après deux mandats à la tête de la Guinée, Alpha Condé se rend compte que la constitution du 7 mai 2010 qui l’a élu deux fois consécutives n’est pas ‘’bonne’’. Et, pourtant il a prêté serment sur cette même constitution à deux reprises en son article 35.
« Moi, Alpha Condé, président de la République élu conformément aux lois, je jure sur le coran, la bible, le peuple de Guinée, et sur mon honneur, de respecter et de faire respecter scrupuleusement les dispositions de la constitution, des lois et des décisions de justice, de défendre les institutions constitutionnelles, d’intégrité du territoire et l’indépendance nationale. En cas de parjure, que je subisse les rigueurs de la loi ».
Alors, à quoi sert ce serment du président Condé ? A-t-il trahi les clauses de l’accord de Ouaga ? Le peuple de Guinée a-t-il été trompé ? Pourquoi n’a-t-il pas changé la constitution depuis son premier mandat ?
Après des mois de mamaya, de folklore, de tintamarre, de communication par-ci et par-là, pour brandir cette constitution comme un trophée de guerre devant le peuple de Guinée a été morcelé et violé par le pouvoir du président Condé. Et, plus de 21 articles ‘’falsifiés’’ entre celle (constitution) soumise au peuple et celle publiée au journal officiel. Quel paradoxe ?
L’opposition guinéenne qui a boycotté le referendum du 22 mars dernière dira que tout cela est une stratégie pour Alpha Condé de briguer un troisième mandat. Pendant qu’il reste encore ambigu sur sa candidature.
Le leader de l’UFDG, Cellou Dalein Diallo, ne passe pas du dos de la cuillère. « Après avoir trahi son serment de respecter et de faire respecter la Constitution de 2010 sur la base de laquelle il a été élu par deux fois, après avoir défié le peuple de Guinée et organisé son référendum contesté et ensanglanté, en exposant délibérément son peuple à la pandémie du Covid-19, Alpha Condé promulgue une Constitution différente de celle qu’il prétend avoir fait adopter par le peuple lors de la mascarade du 22 mars. Cette substitution frauduleuse du texte validé par sa Cour constitutionnelle par un autre texte mieux adapté à ses besoins du moment est une illustration éloquente de son mépris pour l’Etat de droit et la démocratie, définitivement enseveli sous les décombres de son obsession maladive du pouvoir », martèle le président du principal parti de l’opposions. Avant d’ajouter qu’il ne reconnait pas le nouveau texte.
Sidya Touré, président de l’UFR, déplore une telle attitude du pouvoir en place : «J’ai mis du temps à accepter l’idée qu’une telle forfaiture ait été commise. Imposer une constitution le 22 mars et promulguer une autre en avril, est la démonstration de l’Etat néant dont je parle souvent ».
Selon, le responsable de la planification stratégique du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), Sékou Koundouno, voit une diversion de la part du pouvoir. « C’est un chiffon, c’est un torchon qu’on propose au peuple souverain de Guinée, fait entre les copains et les copines dans le seul but de satisfaire les désidérata et la forfaiture du prince et de ses complices. »
Alors, que pense les hommes de droit sur la ‘’falsification’’ de la constitution controversée du 22 mars dernier ?
Dans le débat Afrique sur RFI relatif à la falsification de la constitution, l’ancien ministre de la justice et garde des sceaux du président Alpha Condé qui à jeté l’éponge en mai 2019, Maitre Cheick Sako assure qu’il était contre toute idée de modification ou changement de la constitution du 7 mai 2010. Avant d’ajouter : « L’arrêt de la cour constitutionnelle est assez curieux. Ça se passe de commentaires. J’aurais souhaité que la cour puisse soulever des erreurs matérielles. L’évidence est là quand on a les deux textes, il n’y a pas de magie, et en tirer les conséquences ».
Dans ce même sillage, Dr Ousmane Khouma, maître de conférences à la Faculté des sciences juridiques de l’Université Cheick Anta Diop à Dakar a qualifié la situation d’ubuesque. ‘’C’est assez inédit et grave. On note quand même des différences entre le texte soumis au peuple et le texte définitif. La situation est tellement grave qu’on ne trouve pas de qualifications juridiques. C’est inédit dans l’histoire. C’est du faux constitutionnel, de la falsification constitutionnelle’’, a-t-il dit au micro de RFI.
Maître Pépé Antoine Lama, avocat au Barreau de Guinée, déclare : « Le seul texte qui a été soumis au peuple de Guinée, c’est bien le document publié au journal officiel en janvier. Alors si aujourd’hui, après avoir dénoncé cette falsification, on revient nous parler d’un texte officiel qui n’a jamais été présenté à qui que ce soit, nous sommes vraiment choqués. », A-t-il dit le lanceur d’alerte.
Pour sauver notre bébé (Constitution) qui a été violé et trainé à terre pendant qu’elle dormait tranquillement dans les bras de sa mère (La Guinée). La Cour Constitutionnelle a été saisie par l’ordre des avocats, des ‘’députés de l’Assemblée Nationale’’ et de la coordination de la Plateforme Nationale de Participation et d’Initiative citoyenne pour qu’elle soit rétablie dans ces droits.
Pendant que les yeux des guinéens et du monde entier étaient braquées sur notre bien aimé Cour Constitutionnelle pour dire le droit rien que le droit dans cette affaire du plus grand banditisme intellectuel de histoire de l’humanité.
Par un arrêt rendu public le 11 juin dernier, la Cour Constitutionnelle a rejeté la saisie des défenseurs de droits en indiquant que : « la nouvelle constitution de la République de Guinée a été publiée au Journal officiel à la date du 14 avril 2020 ».
Et, ajouter que : « tout autre projet ou document y afférent, quels que soient son intitulé et sa source est considéré comme document des travaux préparatoires à l’établissement d’une nouvelle constitution». Comment peut-on qualifier cette décision d’une des plus hautes institutions du pays ?
Malheureusement, notre bébé est ressorti dans les entrailles de sa propre mère fondant en larme. Pour beaucoup de citoyens, cela a été un choque et une traumatise.
Par la voix de son porte-parole, Souleymane Keïta, député du RPG, le camp présidentiel se réjouit de ce résultat. Aucun changement n’a été apporté au texte. « Il y a un avant projet qui a été vulgarisé, je dirais, au niveau national et la Constitution publiée dans le journal officiel est effectivement la mouture finale qui a été transmise par la Cour constitutionnelle et sur laquelle le peuple a voté le 22 mars. Alors qu’on parle de falsification, je suis étonné. » A-t-il souligné
Apres cette mascarade constitutionnelle, des activistes et des politiques qui ont défendu ce projet farfelus à cause de la candidature se disent très dessus et regrettent d’avoir trahi le peuple de Guinée. « Moi, personnellement je regrette d’avoir soutenu cette nouvelle constitution. Je l’ai fait à cause de la candidature indépendante. Mais, cela a été retiré dans la constitution par miracle », affirme-t-il sous l’anonymat.
Dans cette délinquance juridique et ce holdup constitutionnel, le peuple a été pris à la pièce et en otage. Ceux qui ont voté pour la nouvelle constitution ont vu leurs voies falsifiés et ceux qui n’ont pas voté ont été pris en otage pour les faire avaler un acide. Reste à savoir si cela passera dans la courge.
Pour le bien de la Guinée, le président Alpha Condé doit renoncer à son projet de troisième mandat afin de préserver la paix et la démocratie dans le pays. Va-t-il le faire au nom de la paix ? A-t-il été atteint de la boulimie du pouvoir ?
On attend donc de voir la fin de ce feuilleton qui est le plus sombre de l’histoire de la Guinée. Par ailleurs, la grosse question que tout le monde se pose est de savoir comment sortir le pays de cet imbroglio politico-judiciaire ? (https://getdelmar.com) Est-ce qu’il y’a une autre voie de recours pour pouvoir résoudre ce problème ?
L’avenir nous édifiera davantage !
Moussa Traoré, Journaliste Analyste-Politique