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Guinée_Mines: le nord-ouest du pays est devenu un enfer rouge 

Le nord-ouest de la Guinée est devenu un enfer rouge. Rouge comme la bauxite, le minerai de base de l’aluminium, lequel sert à fabriquer nos voitures, nos avions et nos canettes de soda. Pour extraire la bauxite, il faut raser la végétation et faire exploser le sol à la dynamite. Il ne reste, à la fin, qu’un désert caillouteux et stérile. Les poussières rouges libérées lors de l’extraction et du transport s’infiltrent et se déposent partout, polluent l’air, l’eau et ce qui reste de végétation alentour.

La situation ne cesse d’empirer depuis 2015, lorsque la Malaisie et l’Indonésie ont réduit leurs exportations de bauxite à cause des dégâts environnementaux provoqués par les mines. La Guinée, qui figure parmi les quinze pays les plus pauvres du monde, a pris le relais et quadruplé sa production. Avec des conséquences dramatiques pour la population locale, comme l’ont documenté les ONG Human Rights Watch, Cecide et Fian. Mais aussi pour les animaux qui vivaient dans la zone, notamment les chimpanzés d’Afrique de l’Ouest, une espèce en danger critique d’extinction.

Officiellement, pourtant, ces mines de bauxite n’ont aucun impact négatif sur la biodiversité. C’est ce que prétendent la Banque mondiale et les grandes banques françaises qui les ont financées. Un cabinet d’expertise français, Biotope, a joué un rôle majeur dans cette opération d’écoblanchiment, en multipliant les lucratives missions de conseil à la fois auprès du gouvernement guinéen et des sociétés minières, malgré les conflits d’intérêts.

C’est ce que révèle notre nouvelle enquête de la série « GreenFakes », basée sur des documents confidentiels de Biotope, obtenus par l’ONG Climate Whistleblowers.

Des centaines d’hectares d’espaces naturels détruits

La zone située entre les villes de Boké et de Sangarédi est l’épicentre du boom de la bauxite, après les extensions, accordées en 2016 et 2019, à deux mines géantes. Celle de la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG), contrôlée à 51 % par le gouvernement guinéen et par trois multinationales (Rio Tinto, Alcoa et Dadco). Et celle de la Guinea Alumina Corporation (GAC), détenue par un producteur d’aluminium des Émirats arabes unis.

Ces deux mégaprojets ont été financés par des prêts de plus de 1,5 milliard de dollars, dont plus de 300 millions fournis par la Société financière internationale (SFI), filiale de la Banque mondiale, et des centaines de millions accordés par des banques privées, dont les françaises BNP Paribas, Société générale, Crédit agricole et Natixis.

Combo est surtout, pour Biotope, un outil idéal pour doper son business, en partie grâce à de l’argent public français.

La prestigieuse SFI, qui a mené l’évaluation environnementale, s’est portée garante du fait que les mines seront « vertes ». La SFI a inclus dans les contrats de financement le respect d’une norme qu’elle a elle-même inventée, baptisée PS6. Elle impose, en théorie, aux compagnies minières de ne provoquer aucune « perte nette » de biodiversité, et même un « gain net » pour les « habitats critiques » où vivent des espèces protégées.

À première vue, ce n’est pas gagné : la mine de CBG va à elle seule détruire 3 200 hectares d’espaces naturels, sans compter les routes et le chemin de fer associés, selon le rapport d’évaluation officiel. Pour respecter la norme PS6, il va donc falloir compenser ces dégâts, par exemple en replantant des forêts ailleurs.

C’est alors que Biotope entre en scène. Ce cabinet français, spécialiste des études en matière de biodiversité, a créé en 2016 l’initiative Combo (conservation, minimisation des impacts, et compensation au titre de la biodiversité, en Afrique), qui vise justement à aider, dans quatre pays africains, les gouvernements à mettre en place la « compensation biodiversité », mais aussi à aider les entreprises à respecter la norme PS6.

Combo est un projet à but non lucratif, cofinancé notamment par Biotope, le gouvernement français (via l’Agence française de développement), des ONG… et le géant anglo-australien des mines Rio Tinto, actionnaire de la société minière guinéenne CBG. Combo est surtout, pour Biotope, un outil idéal pour doper son business, en partie grâce à de l’argent public français.

En octobre 2016, le projet est lancé en Guinée sous le patronage de la SFI, la filiale de la Banque mondiale qui a orchestré deux mois plus tôt le financement de la mine de CBG. Pour la Guinée, c’est une aubaine, puisque dans le cadre de Combo, les conseils de Biotope sont gratuits.

Création d’un parc national

C’est ainsi que le gouvernement guinéen a confié au cabinet français un rôle clé dans le comité chargé d’élaborer la stratégie nationale de compensation des impacts des mines sur la biodiversité. Sauf que Biotope a un gros conflit d’intérêts : il conseille en parallèle le Réseau Environnement Bauxite, un organisme créé par plusieurs sociétés minières censées financer la compensation, dont la CBG et la GAC.

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Les réflexions sur la stratégie nationale accouchent de deux projets, qui ont vocation à se rejoindre. Le premier, c’est la création du parc national du Moyen-Bafing, dans le nord du pays. En 2017, la CBG et la GAC ont accepté de le financer à hauteur de 48 millions de dollars, afin de compenser l’impact négatif de leurs mines sur les chimpanzés.

En janvier 2019, lors d’un séminaire à l’hôtel Petit Bateau de Conakry, Biotope propose une seconde idée : un Fonds fiduciaire pour la conservation, alimenté notamment par les entreprises, qui financerait les zones naturelles protégées.

Fin 2020, le ministère de l’environnement lance une mission de conseil à 100 000 euros, financée par la Banque mondiale, afin de réaliser une « étude de faisabilité » de ce fonds. L’appel d’offres est remporté par… Biotope.

Cette attribution est susceptible d’enfreindre les règles de passation de marchés de la Banque mondiale, qui proscrivent tout « avantage compétitif inéquitable », et plus précisément le fait que les consultants profitent des « services passés » liés à la mission qu’ils ont obtenue. Contactés à ce sujet, la Banque mondiale et le gouvernement guinéen indiquent que les procédures ont été respectées.

Objectif minimaliste

En septembre 2021, un coup d’État militaire renverse le président guinéen Alpha Condé. La mission de Biotope est interrompue. Elle a repris en 2022, à la suite d’un avenant signé par le nouveau gouvernement, désormais contrôlé par la junte militaire du colonel Mamadi Doumbouya, qui s’est autoproclamé « président de transition ».

En décembre 2024, Biotope a décroché auprès du gouvernement guinéen, sans appel d’offres, une nouvelle mission, cette fois pour créer le Fonds fiduciaire pour la conservation, rémunérée 518 800 euros, et toujours payée par la Banque mondiale.

En clair, ce fonds, censé être l’une des mesures phares de la politique nationale guinéenne de compensation de l’impact des mines de bauxite, n’est toujours pas opérationnel après quatre ans d’études.

Le parc national, censé être un sanctuaire, est menacé par des concessions minières et par un projet de barrage, qui risque d’engloutir une bonne partie de la forêt.

La Banque mondiale indique que, Biotope ayant réalisé la première étude, il était normal de choisir le cabinet français sans appel d’offres pour la seconde, afin d’« assurer une continuité du service ». La banque précise que la création du fonds est prévue pour novembre 2025.

Le second projet, le parc national du Moyen-Bafing, a été créé en mai 2021, juste avant le coup d’État. Mais, il est insuffisant. Il n’a pas été calibré pour réparer l’ensemble de la destruction des espaces naturels par CBG et GAC, mais seulement pour compenser l’impact de leurs mines sur les chimpanzés en voie de disparition.

Cet objectif minimaliste n’est même pas atteint, selon un rapport publié en octobre 2021 par l’ONG Re:wild et le groupe d’experts sur les chimpanzés de l’Union internationale de conservation de la nature (UICN).

Le rapport souligne qu’il est « improbable que CBG et GAC parviennent à obtenir un gain net de la population de chimpanzés sur vingt ans », pour plusieurs raisons. La première, c’est que le parc national, censé être un sanctuaire, est menacé par des concessions minières et par un projet de barrage, qui risque d’engloutir une bonne partie de la forêt. Interrogé à ce sujet, le ministère des mines assure que ce barrage « n’affectera qu’une superficie relativement faible de la zone de protection intégrale du parc ».

Le rapport de Re:wild et de l’UICN estime « probable » que les deux sociétés aient « sous-estimé » la perte de chimpanzés provoquée par leurs mines (chiffrée à 143 individus maximum), et donc le volume de compensation à effectuer. Les experts ajoutent que l’enveloppe financière promise n’est pas suffisante pour financer le parc national à long terme.

Pire encore, la CBG et la GAC rechignent à débloquer les premiers versements, malgré les « demandes répétées » qui leur ont été adressées. Les 48 millions de dollars sur vingt ans qu’elles avaient promis de payer représentent pourtant moins de 0,1 % de leurs revenus sur la période, selon une estimation de Mediapart.

Le rapport critique aussi la SFI, la filiale de la Banque mondiale qui a orchestré le financement des mines de bauxite. Dans les accords de prêts, la SFI a fait promettre aux compagnies qu’un « gain net » de biodiversité devait être atteint pour les espèces protégées, mais sans inclure « l’obligation pour CBG et GAC de réaliser des paiements immédiats et réguliers en matière de compensation ».

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Le ministère des mines répond que le problème a été résolu, et que les deux compagnies ont versé à ce jour 24,3 millions de dollars. Le ministère affirme que le parc parviendra à compenser l’impact des mines sur les chimpanzés, et contribuera à la « préservation de milliers d’espèces biologiques ».

La plus grande mine de fer du monde

Contactées par Mediapart, la CBG et la GAC n’ont pas répondu. La SFI indique que les sociétés ne sont pas tenues de respecter immédiatement la norme PS6 sur l’absence de perte de biodiversité, mais seulement « après une période de temps raisonnable » (lire l’intégralité de la réponse dans les annexes de cet article). Mais ce n’est toujours pas le cas aujourd’hui. Le dernier rapport d’évaluation de la GAC indique même que la compagnie minière est dans une situation de « non-conformité à long terme », avec quatorze entorses aux règles identifiées. La CBG essaie pour sa part de réhabiliter les zones qu’elle a fini d’exploiter, mais elle a bien du mal, car il n’y pas assez de terre disponible pour recouvrir les sols.

Le non-respect des normes est également mentionné dans une plainte déposée en 2019 auprès du médiateur de la SFI, par 540 habitant·es de treize villages guinéens. Ils dénoncent « la destruction de leur environnement et de leurs moyens de subsistance » par les mines de la CBG. Une médiation a été engagée par la SFI, mais elle n’a toujours pas abouti cinq ans plus tard.

Cette situation n’émeut guère les banques françaises qui ont co-financé les projets (lire leurs réponses complètes dans les annexes). BNP Paribas n’a pas répondu. La Société générale « a comme règle de conduite de ne pas donner d’information » sur « des opérations spécifiques ». Natixis affirme mener un « suivi approfondi » de la conformité environnementale des mines, sans en indiquer le résultat. Idem pour le Crédit agricole, qui dit recevoir « régulièrement » des « comptes rendus », mais a refusé de nous les fournir.

Biotope a pour sa part grandement bénéficié de son activisme auprès du gouvernement guinéen.

À partir du printemps 2021, l’activité du cabinet dans le pays a explosé, avec plus de 2 millions d’euros de contrats en deux ans remportés auprès de nouvelles compagnies minières, selon des documents internes.

Biotope a même ouvert, fin 2021, une filiale en Guinée dotée de cinq salariés à plein temps, afin d’assurer une mission pour un client très problématique : le consortium sino-singapourien WCS, l’un des deux opérateurs, avec une société contrôlée par le géant australien des mines Rio Tinto, de la mine de Simandou, située dans l’est du pays.

Lors de son ouverture, prévue fin 2025, Simandou sera la plus grande mine de fer du monde, avec une production de 60 millions de tonnes par an. Mais cet investissement colossal, d’un montant de 20 milliards de dollars, est critiqué par des ONG regroupées dans la coalition Simandou Aware. Elles dénoncent des risques majeurs pour l’environnement, la population locale, la pollution des eaux et la faune sauvage. La mine est en effet située dans une zone de forêts jusqu’ici préservée et enclavée, qui abrite de nombreuses espèces protégées, dont les chimpanzés en danger critique d’extinction.

WCS et Rio Tinto ont promis de respecter la norme PS6 de la SFI, c’est-à-dire de ne provoquer aucune perte nette de biodiversité. Mais les conclusions de leurs études préparatoires sont contestées par les ONG.

Des centaines d’hectares d’espaces naturels vont être détruits par les deux blocs de la mine et par la construction d’une ligne de chemin de fer de 670 kilomètres reliant Simandou à l’océan. Ce chantier ferroviaire a déjà engendré des pollutions et des impacts négatifs pour les riverains et les chimpanzés, selon l’ONG Action Mines Guinée et le groupe d’experts de l’Union internationale de conservation de la nature.

Impact sous-estimé

Dans son dernier rapport d’impact, publié en avril 2024, Rio Tinto reconnaît que malgré ses efforts, « le projet aura un impact négatif sur la biodiversité, notamment sur les chimpanzés d’Afrique de l’Ouest et les habitats critiques » abritant des espèces menacées. Afin de respecter la norme PS6, Rio Tinto promet qu’il mettra en œuvre « une stratégie de compensation », notamment en ce qui concerne les chimpanzés.

Mamadi Camara 

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