
Quand le cinéma, l’humour et le théâtre peuls tuent le pulaar-fulfuldé à petit feu
Dans les productions théâtrales, humoristiques ou cinématographiques en Guinée et parfois ailleurs – un schéma se répète, triste et pernicieux. Lorsqu’un personnage est censé représenter une personne instruite, riche, citadine ou « réussie », il parle français. Par contre, lorsqu’il s’agit de montrer un homme ridicule, un villageois maladroit, un bouffon qui tombe avec une poule dans les bras, qui peine à traverser une route ou des personnes qui se battent pour un morceau de viande là, on les fait parler le peul.
Ce simple choix de mise en scène, répété à l’infini, a des conséquences dévastatrices : il installe l’idée que parler peul, c’est être resté « au village », être en retard, être ignoré, voire inintéressant. Tandis que parler français, c’est être moderne, digne, cultivé, intelligent.
Ce n’est pas qu’un choix artistique : c’est une attaque contre la langue. Et donc, contre l’identité
Le théâtre comme véhicule du mépris linguistique
Oui, le théâtre a le droit de faire rire. Oui, les artistes doivent avoir leur liberté.
Mais à force de toujours utiliser la langue peule comme une caricature, une parodie de la vie « primitive », le théâtre finit par piétiner ce que cette langue représente : la dignité, la richesse, l’histoire de tout un peuple.
Aujourd’hui, dans les rues, les jeunes Peuls n’arrivent même plus à enchaîner cinq phrases limpides dans leur langue.
La faute n’est pas au théâtre seul. Mais le théâtre a une grande part de responsabilité dans cette lente dégradation.
Il aurait pu élever la langue. Il a souvent choisi de la ridiculiser.
Une langue qui se créolise sous nos yeux
Le phénomène ne s’arrête pas à la scène ou à l’écran.
Dans la vie quotidienne, la langue peule est devenue une sorte de créole urbain : un mot peul, trois mots français ; une phrase peule, une expression arabe, une intonation française…
Même les mots simples – neene pour maman, baaba pour papa, frère, première femme, deuxième femme, oncle, les chiffres et les nombres… tous ces mots, généralement très banals – sont remplacés par du français, comme si les mots originels avaient disparu.
La liste est longue, très longue, de ces jolis mots abandonnés volontairement au profit d’autres en français, arabe ou anglais…
Et cela touche toutes les couches sociales.
Les marabouts, les imams-prédicateurs, les prêcheurs de la « bonne » parole avec les « bons » mots, qui devraient être les gardiens du verbe sacré, mêlent le français à leurs sermons.
Les intellectuels peuls, souvent diplômés et fiers de l’être, croient qu’ils doivent singer le français pour montrer leur niveau.
Résultat ?
Quand un Peul parle peul, on le regarde comme s’il avait échoué à être « civilisé».
Et quand il s’exprime en peul uniquement, on doute même de sa crédibilité.
Un appel à ceux qui peuvent encore agir
Ce message est un cri du cœur, un appel lancé à nos artistes, comédiens, scénaristes, créateurs de contenu, influenceurs, animateurs radio ou vidéo.
Ayez pitié de cette langue.
Cessez de la réduire à la case des villageois.
Donnez-lui la place qu’elle mérite : celle d’une langue noble, riche, subtile, expressive, digne d’être parlée avec fierté.
Parce que oui, le pulaar/fulfulde est l’une des langues les plus riches au monde.
Et pourtant, nous sommes en train de la tuer à petit feu.
Non pas avec des armes, mais avec le mépris, l’ignorance, la répétition des clichés, le manque de courage linguistique.
Comme disait l’autre : je ne sais pas où nous nous sommes cognés, mais je sais que pour notre langue, nous sommes tombés très bas.
La langue peule n’est pas un costume de théâtre. C’est une identité.
Parler sa langue, clairement, avec fierté, ce n’est pas du repli.
Ce n’est pas un refus de modernité.
C’est au contraire la meilleure manière d’entrer dans la modernité sans se perdre.
Il est encore temps d’agir.
Il est encore temps de sauver notre langue, et avec elle, tout ce qu’elle transporte de culture, de mémoire, de respect et de civilisation.
𝗧𝗶𝗱𝗶𝗮𝗻𝗲 𝗠𝗮𝗹𝗼𝘂𝗻 𝗕𝗔𝗥𝗥𝗬