La Tanzanie était en deuil jeudi après l’annonce du décès du président John Magufuli, qui a dirigé ce pays d’Afrique de l’Est durant plus de cinq années marquées par de grands projets mais aussi par une dérive autoritaire.
Jeudi matin, les drapeaux étaient en berne dans la capitale économique Dar es Salaam, au premier des 14 jours de deuil national décrétés par la vice-présidente Samia Suluhu Hassan, qui a annoncé le décès du chef de l’Etat mercredi soir.
A la tête du pays depuis 2015, John Magufuli, 61 ans, est officiellement mort mercredi de problèmes cardiaques, dont il souffrait depuis dix ans, a-t-elle indiqué.
Cette annonce a mis fin à près de trois semaines de spéculations sur son état de santé. Habituellement omniprésent, le chef d’Etat n’était plus apparu en public depuis le 27 février.
Cette absence avait alimenté les rumeurs, qui le disaient notamment atteint du Covid-19, une maladie qu’il n’avait cessé de minimiser.
Les autorités avaient jusqu’à présent démenti toute dégradation de son état de santé, malgré les appels répétés à la transparence de plusieurs personnalités et formations d’opposition.
– « Justice immanente » –
« Magufuli est mort du corona », le surnom donné au virus en Afrique de l’Est, a affirmé un des principaux opposants, Tindu Lissu, dans une interview enregistrée mercredi soir mais diffusée jeudi matin sur la chaîne télévisée kényane KTN.
« Magufuli n’est pas mort ce soir. J’ai des informations, essentiellement des mêmes sources qui m’ont dit qu’il était gravement malade, selon lesquelles Magufuli est mort depuis mercredi de la semaine dernière », a-t-il poursuivi.
« C’est une justice immanente. Le président Magufuli a défié le monde dans la lutte contre le corona (…) Il a défié la science. Il a refusé de prendre les précautions de base recommandées aux gens dans le monde entier contre le corona », a rappelé l’opposant.
Plusieurs pays comme l’Ethiopie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont présenté leurs condoléances aux autorités tanzaniennes. Washington a dit « espérer que la Tanzanie pourra avancer sur un chemin démocratique et prospère ».
Le président du Kenya et actuel président de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Est, Uhuru Kenyatta, a déclaré que l’Afrique perdait un dirigeant « illustre », et décrété une semaine de deuil au Kenya.
Surnommé le « Bulldozer », John Magufuli, était arrivé au pouvoir en promettant de lutter contre la corruption endémique qui exaspérait la population tanzanienne.
Il a mené de grands projets d’infrastructures, d’électrification des campagnes, renégocié favorablement des contrats miniers et étendu l’éducation gratuite.
« Les pauvres avaient commencé à faire des progrès, les affaires étaient florissantes, et si vous aviez un problème, le président vous écoutait », estimait jeudi matin, en pleurs, Kondo Nyumba, vendeur de journaux à Dar es Salaam.
« Le peu de temps qu’il a gouverné, il a réalisé de grandes réformes qui sont visibles. En tant que nation, nous nous souviendrons de lui pour les nombreuses bonnes choses qu’il a faites », témoignait de son côté Omar Jongo, 42 ans.
– Dérive autoritaire –
Mais son premier mandat a pris un virage autoritaire, dénoncé par de nombreuses organisations des droits humains, avec des attaques répétées contre l’opposition et le recul des libertés fondamentales.
Sa réélection en octobre, dans un contexte de forte répression, avec 84,39% des voix avait été dénoncée par l’opposition comme une « imposture totale ».
« On se souviendra bien plus de lui pour ce qu’il a détruit (espace civique, liberté des médias, institutions démocratiques, bonne gouvernance) que pour tout ce qu’il a commencé à construire (routes, chemin de fer moderne, ponts, centrales électriques, nouveaux avions et plus) », a estimé Thabit Jacob, chercheur tanzanien à l’Université de Roskilde, au Danemark, dans une réponse écrite à l’AFP.
Depuis un an, il avait constamment minimisé l’impact du coronavirus.
Ce fervent catholique avait affirmé que son pays en était « libéré » grâce aux prières. Pour railler la fiabilité des tests, il avait affirmé mi-2020 qu’une papaye, une caille ou encore une chèvre avaient été testées positives au Covid-19 et avait, en janvier, qualifié les vaccins de « dangereux ».
Cette posture était toutefois devenue difficile à tenir ces dernières semaines alors que le pays fait face à une vague de décès imputés à des « pneumonies », et touchant jusqu’à de hautes personnalités.
Le vice-président de l’archipel de Zanzibar, Seif Sharif Hamad, atteint du Covid-19, est notamment décédé et M. Magufuli avait dû admettre, à demi-mots, la présence du virus sur le territoire.
Selon la constitution tanzanienne, Samia Suluhu Hassan prendra sa succession « pour la période restant du mandat de cinq ans ».
Selon Thabit Jacob, la première femme présidente de la Tanzanie gouvernera « avec une base beaucoup plus faible, qui sera contrôlée par le clan Magufuli et les renseignements ». « Elle aura du mal à construire sa propre base et des rivalités entre factions vont émerger », prédit-il.