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Viabilité de la dette et croissance durable en Afrique

Appel à la réforme des organisations multilatérales et de l’architecture internationale du développement

Par: Isabelle Lessedjina

Le narratif associé à l’endettement des gouvernements africains et des crises financières subséquentes   éclipse parfois injustement les nombreuses réussite individuelles des entrepreneurs et des talents du continent. Compte tenu de l’impact de l’environnement macroéconomique sur les facteurs microéconomiques, il semble toutefois difficile de les dissocier.

Aussi longtemps que les dettes de nos pays seront pensées en devises étrangères et séparément des investissements et des projets ayant des retombées socio-économiques significatives, une spirale de vulnérabilité financière sera invariablement enclenchée. En fin de compte, la bonne ou mauvaise Fortune économique des États se répercute toujours sur les entreprises et les individus.

À ma modeste échelle, j’ai directement subi l’impact de la dépréciation d’une monnaie sur mon budget quotidien et mes remboursements hypothécaires lorsque le cedi ghanéen a vu sa valeur fondre de trois-quarts face au dollar en l’espace d’une demi-douzaine d’années.

Une déplaisante et banale expérience individuelle qui n’est au final qu’un fragment de Vie parmi des millions d’autres. Qui mieux que les entrepreneurs, les commerçants et les particuliers africains pour comprendre les multiples affres financières de cette existence ballottée par les aléas du Destin ?

Les causes et conséquences des crises de la dette sont multiples. Mais, ce n’est pas nécessairement l’excès de dette, mais parfois le type, les conditions non pérennes (en termes de taux d’intérêt et de change, de marchés de capitaux), externes (ex. guerre, climat, COVID, politique monetaires US,…) et d’opacité ainsi que l’utilisation de la dette qui créent certains problèmes. Autant d’arguments militant pour l’adoption de financements immunisés contre ce type d’aléas.

De fait, ces observations empiriques, tirées d’expériences personnelles, sont corroborées à l’échelle macro-économique par les chiffres.

Dans son rapport intitulé « Perspectives économiques en Afrique », la BAD montre que la dépréciation d’une devise est l’un des principaux moteurs de la dynamique de la dette publique (voir ci-dessous).

Dans le cas en l’espèce, le nœud du problème vient de la pratique, communément adoptée, de prêter et de commercer en devises étrangères, faisant ainsi peser le risque de change sur les emprunteurs, qui génèrent leurs revenus en monnaie locale.

Facteurs de la dynamique de la dette publique (en pourcentage du PIB), 2013-2023

Cette situation est particulièrement problématique pour les pays à faible revenu dont la dette est principalement détenue par des bailleurs de fonds officiels multilatéraux et bilatéraux (plus de 80 % de la dette publique extérieure).

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Pour illustrer notre propos, on citera le récent exemple du Malawi, qui n’est qu’un cas édifiant parmi d’autres. Acculé par une série de difficultés (perturbations climatiques, hausse des prix des produits de base, renchérissement du dollar, politiques intérieures mal alignées…), le pays a été contraint de déprécier sa monnaie de 25 % le 27 mai 2022[1]. Cette décision, lourde de conséquences, s’est de facto traduite par une augmentation du ratio, induit par la FX, dette/PIB de 8,5 % et ce alors même que le stock de la dette demeurait inchangé.

Une logique implacable qui rappelle avec acuité une dure vérité : dans un monde aux ressources finies, l’affectation de l’argent à un usage déterminé (le remboursement d’une dette en devises inappropriées) se fait nécessairement au détriment d’autres besoins, parfois essentiels (éducation, santé, infrastructures…)

Des leviers d’action pour changer la donne

Il n’y a pourtant pas de fatalité et nous ne sommes pas condamnés à toujours répéter les errements du passé. À l’heure où s’ouvrent les discussions sur la réforme de l’architecture de la dette internationale et du mandat des organisations multilatérales en général, je crois fermement que la voix des peuples africains doit être entendue.

Les intérêts et souhaits de ces populations doivent, davantage, être placés au cœur du mandat, des indicateurs de performance et de la culture des organisations ainsi que mieux s’aligner aux réalités et à la conception des populations, afin de promouvoir des solutions qui renforceront l’écosystème dans son ensemble et construiront une Afrique résiliente et prospère.

À la lumière de ce qui précède, plusieurs recommandations, actuellement débattues, gagneraient à être prises en compte pour changer durablement la donne :

  1. Les banques multilatérales de développement devraient incarner les normes de prêt responsable en offrant aux parties prenantes le choix d’emprunter en monnaie locale (synthétique) ou en devise étrangère.

Les institutions multilatérales devraient fondamentalement incarner des pratiques de prêt responsables en offrant toujours le choix entre la monnaie nationale de l’emprunteur et un prêt en devise étrangère. Ne fût-ce que pour susciter une sensibilisation et une transparence sur la question et ses conséquences.

  1. Les banques multilatérales de développement (BMD) devraient mieux collaborer avec les banques de développement régionales et nationales (PDB) et les écosystèmes locaux en matière de financement et de développement des marchés de capitaux.
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En tant que co-chefs de file, la combinaison de l’expertise des BMD avec les connaissances locales et la compréhension des risques devrait être un atout qui rendrait les transactions et l’écosystème financier local plus durables. Enfin cette approche permettrait un alignement d’intérêt et lecture du risque,

  1. Lors de la promotion du développement par le biais du financement des PME, l’accent devrait être mis, au-delà de la création d’emplois, sur la création plus large de richesses nationales et de champions locaux. 

Lorsque nous parlons de « contenu local », nous ne devons pas seulement penser à la création d’emplois, mais aussi au renforcement des champions locaux, qui regroupent des organisations nationales de premier plan ainsi qu’un écosystème plus large de PME et de pourvoyeurs de capitaux à l’actionnariat local. Tout en n’oubliant pas la problématiques genrées qui font les femmes qui reçoivent moins de financement alors qu’elles sont l’axis mundi de nos sociétés. Au final, il ne peut y avoir de véritable développement sans la création d’une richesse africaine large et partagée qui paie des impôts, dépense et investit sur le continent et son potentiel.

  1. L’éducation et l’épanouissement des talents en incitant une éducation (semi-) publique innovante et de qualité.

Quelle que soit la voie que nous empruntons en tant que continent, l’éducation est Le socle qui fera ou défera notre développement. Il ne peut y avoir de « solutions africaines aux problèmes africains » sans des Africains éduqués qui proposent et mettent en œuvre ces solutions.

En conclusion, une reforme de l’affectation des ressources et des capacités des organisations multilatérales à une approche plus polyvalente et pragmatique est opportune. Autant de pistes et d’initiatives à explorer, et qui, déployées avec sagesse et courage, permettront de parvenir à un développement réel et durable du continent africain.

Isabelle Lessedjina est Senior VP Strategy and Corporate affairs chez TCX Fund et Managing Partner chez ANIZ.

Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas nécessairement celles des organisations pour lesquelles elle travaille.

 

Pour plus d’informations sur COVID-19, consultez le site https://www.un.org/fr/coronavirus

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