
Ma modeste contribution pour enclencher le débat sur l’Elaboration d’une nouvelle Constitution pour la Guinée
Par Dr Mohamed Hady Barry
A mes cher(e)s concitoyen(ne)s,
Comme nous le savons tous, l’avènement du CNRD, le 05 septembre dernier, a suscité chez beaucoup de guinéens un grand espoir, espoir de justice, de paix et de
développement.
Notre bataille aujourd’hui est de faire en sorte que cet espoir ne soit pas déçu. Pour cela, chaque guinéen jouera sa partition. C’est à cet titre que je vous propose, en tant
que citoyen de mon pays, ce qui suit relativement à l’organisation et au fonctionnement de l’Etat à travers la séparation des pouvoirs qui protège les droits et
les libertés fondamentaux des citoyens guinéens contre les abus des titulaires des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire).
En effet, depuis l’accession de notre pays à la souveraineté nationale et internationale en Octobre 1958, la Guinée a été régie par des constitutions républicaines lesquelles,
sur papier, tout était prévu pour consacrer la séparation des pouvoirs, protéger les droits et libertés fondamentaux des citoyens, définir les modalités de leur protection et
assurer la cohésion et le fonctionnement harmonieux de la nation. Cependant, fort malheureusement, depuis 1958, invariablement, l’arrivée d’un nouveau régime à la
tête de la Guinée a été de tout le temps accueilli et célébré avec enthousiasme ; de même que la fin de chaque régime politique, quelle qu’en fut sa durée, a été toujours
célébrée avec ferveur et passion par le peuple.
Ceci vient du fait que tous les régimes politiques qui se sont succédé à la tête de notre pays n’ont pas réussi ou voulu installer un système politique équilibré dans lequel la
souveraineté est attribuée aux citoyens qui l’exercent de façon directe en adoptant eux- mêmes les lois et les décisions importantes ; un système dans lequel les citoyens
choisissent eux-mêmes les agents d’exécution qui, en toute circonstance, doivent être soumis à la Loi et révocables par le peuple s’ils faillissent à leur mission.
Aujourd’hui, il nous revient de réfléchir pour trouver une voie ou une formule équilibrée permettant d’installer un système qui permettrait au peuple de retrouver la plénitude de sa souveraineté.
Pour cela, il faut revoir le chemin qui conduit aux trois pouvoirs, surtout celui qui conduit au POUVOIR EXECUTIF. En effet, chez nous en Guinée, c’est le pouvoir
exécutif qui pose le plus de problème. Evidemment, les deux autres pouvoirs ne sont point hors de reproche. Mais, dans un premier temps, concentrons-nous sur le premier,
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car c’est lui qui a toujours conquis, annexé et soumis à sa volonté les deux autres pouvoirs, enterrant ainsi le sacro-saint principe de séparation des pouvoirs.
Dans l’histoire politique de notre pays, pour accéder au pouvoir, trois voies ont été suivis : la voie démocratique, le hold-up électoral et le coup d’Etat militaire. Je
m’intéresserai à la première, car c’est elle qui convient à un peuple civilisé, à une nation policée.
Pour qu’il y ait une démocratie digne de ce nom dans notre pays, il y a lieu de : (i) revoir le chemin ou la véhicule qui conduit au pouvoir suprême, (ii) créer des
Institutions fortes, (iii) procéder à la réorganisation territoriale de l’Etat et (iv) trouver un Gardien ultime de la Constitution qui aura pour mission ultime d’empêcher le
détenteur du pouvoir exécutif de violer la Loi fondamentale du pays.
1. Du chemin ou du véhicule qui conduit au pouvoir suprême : le pouvoir exécutif Dans notre pays, le chemin/véhicule qui permet d’accéder démocratiquement au
pouvoir suprême est celui des partis politiques à travers des élections libres et transparentes. Voilà une lourde responsabilité ! C’est sur ces partis qu’il faut travailler
si l’on veut instaurer une véritable démocratie en Guinée.
Un parti politique peut se définir comme un groupe de personnes partageant des idées politiques communes, réunies en association. Sa vocation : chercher à influencer le
gouvernement en place, en le soutenant s’il en est issu, ou en s'y opposant dans le cas contraire. Son pouvoir : il désigne ses propres candidats aux différentes élections,
tente d'obtenir des mandats politiques et contribue aussi à influencer l’opinion publique.
Depuis l’instauration du multipartisme dans notre pays, les partis politiques occupent, ainsi, un rôle clé dans le jeu politique, dans les compétitions électorales. En effet, outre leur fonction de support de la démocratie (investiture des candidats, financement, organisation et animation des campagnes électorales,…), ils sont un intermédiaire
privilégié entre les citoyens et la classe politique.
Malheureusement, la prolifération débridée des partis politiques en Guinée n’a pas véritablement contribué à des débats constructifs, à l’éducation des masses populaires
et à l’Unité de la Nation. De leur création à ce jour, les partis politiques guinéens se sont éloignés peu à peu de la tâche qui leur est impartie, laissant, ainsi, craindre des
risques pour la démocratie guinéenne.
En effet, en lieu et place des partis nationaux transversaux qui défendent l’intérêt supérieur de la Nation, la Guinée a vu se former et évoluer en son sein des partis-états
omnipotents , des partis-administratifs et des partis/particules politiques régionalistes et ethnocentristes qui se livrent des combats sans merci pour les privilèges et la
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suprématie de leurs chefs, de leurs régions ou ethnies, au mépris des autres régions et des autres ethnies, surtout au détriment de la Guinée, par ricochet, à leur propre
détriment.
La faillite de l’Etat aidant, le poison ethnique et régionaliste a été secrété par l’élite guinéenne et inoculé dans l’esprit des masses populaires guinéennes par cette même
élite en manque de projets qui tiennent la route, une élite en quête d’électorat et de carrière politique. Incapable de proposer un projet rationnel et pertinent et susceptible
de fédérer toutes les couches de la Nation, l’élite politique guinéenne a honteusement caressé la corde sensible de l’ethnocentrisme en cherchant à opposer ceux et celles que
l’histoire et la géographie ont réunis. Dommage, car il y a rien de plus avilissant et plus honteux pour un intellectuel que d’être ethno-régionaliste. Un intellectuel ethno-
régionaliste est plus nuisible, plus indigne qu’un voleur de poules, plus abject qu’un serpent de mer, plus maléfique qu’un diable vivant dans les ténèbres de l’enfer. C’est
une créature damnée, hautement méprisable et infiniment nuisible pour la communauté nationale.
Le moment est venu, de réorganiser, d’encadrer et de limiter la création des partis politiques dans notre pays. Comme l’avait suggéré le Général Lansana CONTE avant
moi, je propose l’institution/la création par l’Etat de deux grandes formations politiques qui appartiendraient à la Nation et à l’Etat guinéen. La création de ces partis
aura pour fondement la Constitution. Ces formations politiques n’appartiendront ni à une personne ni à une ethnie encore moins à une région.
Ces deux grands partis nationaux seront créés et financés par l’Etat, par les citoyens guinéens. Ils auront ainsi un budget conséquent leur permettant de jouer pleinement
leur rôle. Ils seront structurés, décentralisés et gérés par une administration hautement qualifiée et autonome. Ainsi, tout guinéen qui aspire à une position élective aura la
possibilité de se soumettre à des primaires qui seront organisés soit au niveau national ou régional afin d’être investi par l’un ou l’autre parti. Une fois investi, le candidat
n’aura plus à débourser un franc pour financer sa campagne. C’est plutôt l’Etat qui s’en chargera. Ainsi, un Président, en fin de mandat, ne pourra pas changer la
constitution pour se maintenir plus longtemps ou mourir au pouvoir.
Certes, on m’objectera qu’en réduisant à deux les partis politiques, on priverait les guinéennes et les guinéens du droit de se regrouper dans des formations politiques de
leur choix. Je crois que cet argument ne saurait tenir la route, car aujourd’hui, il y a une centaine de partis politiques agréés dans notre pays mais quelle est la valeur
ajoutée de cette prolifération, de ce pullulement débridé, de formations politiques sur la santé et la survie de la démocratie dans notre pays ? Quelle est sa valeur ajoutée sur
l’unité et la cohésion nationales, sur la santé et la stabilité de l’Etat, bref sur le bonheur et la prospérité du peuple de Guinée ?
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Ceci dit, on peut toujours permettre aux autres particules politiques d’exister sur la scène politique au côté de deux grandes formations politiques, si tel est le choix de
leurs leaders peu enclins à prendre part à une compétition plus ouverte organisée par les deux grands partis nationaux.
Cependant, les avantages de deux grandes formations politiques sont nombreux et inestimables en ce sens que :
– les guinéennes et les guinéens auront des dénominateurs communs qui les unissent en lieu et place des partis ethniques et des particules politiques qui les
divisent, du coup les leaders ethno-régionalistes sont neutralisés ;
– le peuple de Guinée pourra enfin avoir la possibilité réelle de choisir librement ses dirigeants locaux et nationaux au lieu de valider mécaniquement le choix du
leader ou celui de l’état-major d’un parti ethnique ou d’une particule politique ;
– lors des primaires ouverts à tous, les apprentis sorciers, les faux leaders, les médiocres sont du coup éliminés de la course tandis que les patriotes, ceux qui œuvrent pour l’intérêt supérieur de la Guinée seront découverts et investis ;
– les candidats investis auront plus d’assise populaire et plus de légitimité ;
– la loi sur la limitation des mandats sera plus facilement respectée, car personne ne pourra obliger ces grandes formations politiques à l’investir, en violation des dispositions pertinentes de la Constitution, car l’existence et le fonctionnement de ces partis ne dépendront plus de la générosité intéressée et partisane d’un individu.
2. De la création d’institutions fortes, véritables contrepoids du pouvoir exécutif
2.1. Le Pouvoir législatif :
Si le pouvoir législatif est le pouvoir qui vote et édicte les lois au sens large du terme dans un pays avec un pouvoir de censure et de contrôle sur le pouvoir exécutif grâce à
la motion de censure, on peut soutenir sans réserve que la Guinée n’a jamais eu un pouvoir législatif car, de l’indépendance à nos jours, aucune Assemblée nationale n’a
osé ni contrôler ni censurer le pouvoir exécutif. Le fait est que le pouvoir législatif a toujours été à la solde de l’exécutif, plus précisément, à la solde du Président de la
République.
Cette subordination ou soumission du pouvoir législatif au pouvoir législatif est liée à la nature des régimes qui se sont succédé à la tête de notre pays. Nous avons opté pour
un pouvoir exécutif fort, capable de garantir l’indépendance et l’unité nationales et de maitriser les contradictions internes. Mais nous n’avons pas pu trouver un mécanisme
qui puisse arrêter les abus de l’exécutif ; ce qui fait qu’on n’a jamais connu la séparation des pouvoirs.
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Le défi majeur, aujourd’hui, est de trouver un moyen qui permet à chaque pouvoir de jouer pleinement son rôle sans empiéter sur les prérogatives de l’autre. La solution se
trouve dans le mode de désignation des députés ou parlementaires.
De tout le temps en Guinée, la carrière politique d’un député a été subordonnée au bon vouloir du leader ou de l’état-major des partis ou particules politiques. Pour éviter cet
écueil, le peuple de Guinée doit créer deux grands partis politiques indépendants de tout aspirant à un mandat électif. A l’issue des primaires ouvertes et transparentes, les
partis vont investir le/la candidat sorti victorieux pour enfin être élu député à l’Assemblée nationale. Un tel député pourra véritablement contrôler et censurer le
pouvoir exécutif sans peur de représailles. Une telle assemblée nationale pourra véritablement jouer son rôle et défendre la Constitution. L’indépendance de cet organe
est capitale dans une démocratie, car c’est l’organe par excellence de la démocratie représentative, il est par essence, un organe collectif composé d’un nombre
suffisamment élevé des membres chargés d’édicter des lois selon une certaine procédure et de contrôler l’exécutif.
2.2. Le pouvoir judiciaire
Etymologiquement, le mot judiciaire renvoie à ce qui est relatif à la justice, à son organisation ou à son administration. Ensuite, il renvoie à ce qui se fait en justice par
l’autorité de justice ou ce qui découle d’une décision de justice.
Chez nous, le pouvoir ou l’autorité judiciaire est l'un des trois pouvoirs constitutifs de l;État qui se veut démocratique et respectueux du principe de la séparation des
pouvoirs. Il a pour rôle de contrôler l'application de la loi et de sanctionner son non- respect. A cet effet, le pouvoir judiciaire se prononce en matière de litiges à travers les cours et les tribunaux et il contrôle la légalité des actes du pouvoir exécutif.
L’indépendance de la Cour Suprême qui est l’organe juridictionnel et consultatif le plus élevé de l’ordre administratif et judiciaire de notre pays passe par un choix
rigoureux de ses membres qui doivent être des citoyens compétents, patriotes et courageux. C’est de la même manière qu’il convient de renforcer l’indépendance de la
Cour constitutionnelle qui veille au respect de la Constitution, à travers le contrôle de la constitutionnalité des lois.
Pour cela, je propose que les membres de ces deux institutions soient nommés et inamovibles à vie mais révocables en cas d’une faute grave dûment constatée par les
cours et les tribunaux du pays. Ce dispositif aurait l’avantage de mettre les magistrats hors d’atteinte du pouvoir exécutif tout en demeurant sous la menace de la loi.
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3. De la réorganisation territoriale de l’Etat :
La concentration excessive du pouvoir au sommet dans notre pays a certes des avantages (la stabilité nécessaire à la création d’une Nation homogène, un Etat fort
pour garantir la justice, la sécurité intérieure et extérieure, la coopération avec les pays étrangers, etc.). Cette vision a vécu. Maintenant, il est impératif de
revoir l'organisation territoriale de notre État pour créer des institutions publiques décentralisées disposant de pouvoirs accrus de délibération, de décision et de gestion
des territoires (régions) de leur ressort et garantir la cohérence de l'action de l'État au profit de ces mêmes territoires.
Pour faire simple, les sept régions administratives et la zone spéciale de Conakry devaient avoir des compétences régionales très accrues, disposant de leurs propres
parlements, leurs fonctions publiques régionales, leurs polices, taxes, impôts et budgets.
Chaque région élira son exécutif régional présidé par un Président de région qui aura des compétences larges sous la tutelle de l’Etat national.
Enfin, ce sont ces régions qui éliront les membres du Sénat, si la Guinée décidait de se doter d’un parlement bicaméral.
4. Du Gardien ultime et tutélaire de la Constitution
Dans une République, le respect de la Constitution exige l’engagement de tous les citoyens, de toutes les institutions républicaines et de tous les corps constitués de
l’Etat. Si chaque élément constitutif de la République joue son rôle, il est possible de vivre dans un Etat de droit chez nous. Pour y parvenir, il faut que le corps social, le
Peuple, accepte d’ériger son Armée en Gardienne ultime et tutélaire de la Constitution qui, en plus de sa mission de protection de la patrie et du peuple de Guinée, veillera au
respect de la constitution par le pouvoir exécutif.
Le chef de l’Exécutif, le Président de la République, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par la constitution, restera le garant du respect de la Constitution et des lois du pays par les citoyens et par lui-même. Mais s’il n’y arrive pas ou pire si lui-même viole délibérément la Constitution et les lois de la République, que l’Armée
républicaine soit fondée à l’en empêcher.
Mes sœurs frères et soeurs, telles sont là quelques propositions que j’ai cru devoir faire au titre de notre préoccupation à toutes et à tous, celle de doter notre pays, la
République de Guinée, d’une Constitution digne de ce nom qui garantirait les droits et les libertés de toutes
Par Dr Mohamed Hady Barry/ Aminata.com