Devenu farouche opposant au régime d’Alpha Condé, l’ancien ministre de l’Energie et conseiller du chef de l’Etat se prononce sur l’actualité politique du pays, entre autres: la crise à la Ceni, les communales et les velléités d’un 3e mandat. Papa Koly Kourouma évoque également la nécessité de participer aux manifestations politiques pourvu qu’elles soient « civilisées». Interview!
Aminata.com: La Cour constitutionnelle a entériné l’élection de Me Salif Kebe comme président de la CENI. Êtes-vous satisfait?
Papa KK: Moi, je pense que c’est une décision qui ne me concerne. Et pour moi, donc, c’est un non-événement dans la mesure où ce qui s’est passé est purement interne à la CENI. La CENI a un règlement intérieur qui devait servir de bréviaire pour pouvoir trancher. Je n’ai pas à juger de la pertinence d’une décision de la Cour.
Cette décision, en mettant fin au bicéphalisme à la tête de la CENI, à votre avis, va-t-elle permettre enfin l’organisation des élections communales?
Ce n’est pas cette décision qui empêchait la tenue des communales. La tenue des communales n’est nullement liée à une décision de la Cour constitutionnelle. Les élections doivent se tenir et elles se tiendront.
Mais faut-il admettre que quelque part, tant que la crise persiste, il n’y aura pas de chronogramme des élections?
Cette crise est virtuelle. Je pense que les crises sont inhérentes à la vie sociale. Partout où les hommes se retrouvent, il y a de crise. La crise à la CENI n’était pas aussi profonde pour empêcher l’élaboration d’un chronogramme électoral.
Si Bakary Fofana était resté, pensez-vous qu’il y aurait eu élections cette année?
Bakary ou pas, je ne juge pas de cela. Il y a une CENI et il doit y avoir un président. Ce n’est pas une question de personne, mais d’institution.
Lors de vos manifestations, vous avez demandé la dissolution de la CENI. Ne pensez-vous que l’éjection de Bakary soit un bon départ?
La refondation de la CENI est une décision issue de l’Accord politique du 12 octobre 2016. On n’a pas manifesté pour la dissolution de la CENI, mais puisque les conclusions de l’Accord n’ont pas été respectées.
Le Code électoral qui constitue un des points essentiels de l’Accord a, quand même, été promulgué. N’est-ce pas là l’expression d’une bonne volonté du chef de l’Etat?
Nous avons dit que nous voulons l’application totale des conclusions du dialogue. Alors si l’application est partielle, nous réclamons le reste. Puisqu’on parle de la CENI, il est question qu’à date qu’elle ait déjà lancé un appel d’offres pour l’audit du fichier avant mai 2017. Nous sommes en aout, on ne sait même pas si le Terme de référence (TDR) est prêt, ni l’appel d’offres. Voilà, un retard qui ne peut pas s’expliquer aujourd’hui. Alors, vous pensez que l’opposition va s’asseoir pour attendre Mathusalem, mais ce n’est pas possible.
Selon votre lecture personnelle, est ce que les communales sont tenables en 2017?
Ça dépend de la volonté qu’on exprime. S’il y a une réelle volonté politique, nous ne sommes qu’au mois d’août. Donc, on peut tenir les communales entre octobre-décembre. Il y a déjà eu un chronogramme qui a été élaboré à Kindia, il existe encore, mais dont la mise en œuvre n’a pas vu le jour. Si on est sérieux, il y a juste un glissement à faire qui nous permettra d’avoir le chronogramme en moins de deux minutes. Mais quand les gens pensent qu’il faut aller dans une académie comme si on faisait une recherche scientifique c’est ce qui amene des histoires.
Le Pacte de convergence pour la bonne de la CEDEAO pour la bonne gouvernance interdit toute modification électorale à 6 mois des élections sans l’aval de la majorité des partis politiques. Et s’il faut tenir les communales cette année, on l’aura violé. Quel est votre avis?
Quand on parle d’Accord c’est parce que quelques part quelqu’un n’a pas fait son travail et n’a pas respecté la loi. Et quand c’est cela, on s’appelle et on se retrouve pour pouvoir corriger ce qui n’a pas été fait. Et en ce moment, on ne parle plus de la loi. Sinon, le calendrier électoral est constitutionnel. Alors ne pas tenir des élections à temps, c’est du parjure pour le président de la République.
Voulez-vous dire que le contenu des accords politiques doit primer sur la loi?
Le contenu des accords politiques ne doivent pas primer sur les lois, mais c’est parce qu’on n’a pas respecté les lois qu’on est obligé de faire des accords. Sur l’effet de la pression de l’opposition, les élections doivent se tenir.
Et si elles ne se tiennent pas cette année …
Mais il faut qu’elles se tiennent. Nous excluons le fait qu’elles ne vont pas se tenir cette année.
Pensez-vous qu’on peut tenir les communales cette année et pouvoir organiser des législatives en 2018?
Pourquoi pas? Le problème des logistiques ne va pas se poser. La logistique pour tenir les communales était déjà prête depuis 2015. Ce matériel n’est pas périssable, il existe encore.
Pour les uns, si les communales retardent depuis plusieurs années c’est à cause du maintien de l’opposition dans les délégations spéciales au-delà même du mandat de 3 mois renouvelable une fois requis pour celles-ci?
Je ne sais pas juger de préjugés. Et je n’en parle pas parce que ce n’est pas vrai.
Votre maintien dans les délégations spéciales ne pourrait-il pas servir de prétexte aux velléités de modification constitutionnelle pour octroyer un 3e mandat à Alpha Condé?
Ce n’est pas tout l’opposition qui est dans les délégations spéciales. Mais si on voulait se maintenir, on n’aurait pas demandé les élections communales. Comment on peut dire que nous préférons les délégations spéciales? Ce n’est pas vrai. L’opposition réclame les communales et donc, on ne peut pas nous prêter l’intention de rester dans les délégations.
On vous reproche le fait d’être restés au-delà du mandat des délégations et non l’intention de s’y maintenir éternellement.
Mais qu’est-ce qu’on devait faire?
Vous aviez la possibilité de vous retirer depuis longtemps?
Mais si on se retire, on laisse un vide.
Au moins, vous auriez respecté la loi?
Le respect de la loi, ce n’est pas le fait de se retirer. Aujourd’hui, le gouvernement est incapable d’organiser les élections. Ce n’est pas notre retrait des délégations spéciales qui aurait poussé le gouvernement a organisé les communales. Nous avons de moyens de pression que nous sommes en train d’exercer.
N’est-ce pas paradoxal que l’opposition demande à Alpha Condé de respecter la loi tandis qu’elle-même la viole?
Je vous ai dit que quand on va à la négociation c’est parce que quelqu’un n’a pas respecté la loi. Et celui qui n’a pas respecté la loi c’est Alpha Condé et son gouvernement. C’est ce qui les amène à demander le dialogue avec l’opposition. Le calendrier électoral est constitutionnel et quand on le viole c’est du parjure. Mais quand on va au dialogue et que vous nous dites qu’il y a une violation de la loi de la part de l’opposition, moi, je dirai non. Je ne pense pas que l’opposition ait violé une loi en restant dans les délégations spéciales. On ne va pas créer ce vide parce que c’est ce qu’attendent Alpha Condé et son gouvernement, mais on ne va leur donner cette opportunité. On reste là tout en demandant que les élections aient lieu. Imaginez-vous que l’opposition ne soit pas dans les délégations spéciales c’est donner de la graisse à la machine de la fraude électorale. C’est pourquoi, nous voulons la tenue des élections locales avant les élections nationales.
A votre avis, comment rassembler cette opposition qui, faut-il l’admettre, est profondément divisée surtout depuis la création du Front pour l’alternance démocratique (FAD)?
Vous avez une très mauvaise lecture de la création du FAD qui est une alliance électorale. L’opposition républicaine est un espace de concertation d’une partie des partis de l’opposition. Au sein de cette opposition, il y a plusieurs alliances. Il y a l’alliance UFDG-UDG et GRUP-FND qu’on appelle alliance anti système. Et maintenant on extrapole l’alliance FAD qui regroupe: NFD, UFC et RDIG. Vous pensez que c’est un retrait de ces partis dans l’opposition?
Certes, le FAD a réitéré son engagement dans l’opposition, mais on depuis peu, on commence à entendre des attaques entre celui et le principal parti de l’opposition.
Il y a eu le fait qu’il ne voulait pas s’associer à la marche, ça c’est différent de prendre une distance. J’ai toujours dit que je ne m’associe pas à une marche qui n’est pas civilisée. Le jour que je me rendrai compte qu’une marche ne sera pas civilisée, je m’abstiendrai d’y participer, mais cela ne voudrait pas dire que je vais quitter l’opposition. Demain, si nous pensons qu’il faut en créer une nouvelle alliance entre le FAD et l’alliance anti système que nous sommes, mais on pourrait s’associer et l’appeler autrement.
De plus en plus, des membres du gouvernement et de la mouvance présidentielle évoquent publiquement leur intention d’octroyer un 3e mandat à Alpha Condé. Qu’est-ce que cela vous inspire?
Moi, ça ne m’impressionne pas. Vouloir en parler, c’est donner l’opportunité d’en parler. Pour moi, c’est un non-événement parce qu’il n’y a aucune possibilité de faire un 3e mandat. En matière politique, ça s’appelle ballon d’essai. C’est un ballon d’essai qu’ils ont lancé pour voir s’il y a des gens qui vont adhérer. Alors je refuse que ce ballon d’essai atterrisse chez moi.
Abdoul Malick Diallo
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